Mémoires du Mouvement Ouvrier

La Révolution de 1848 dans le journal de Rouen

Complément sur la révolution de 1848 à Rouen et dans sa région.

La Révolution dans le « Journal de Rouen »[1]

 

Entre la fin février et le début mai, puis au moment des procès le Journal de Rouen a publié des dizaines de pages et de très nombreuses éditions spéciales sur les événements à Paris, en Seine inférieure, mais aussi sur les réactions à l’étranger.

L’Histoire de la révolution de  1848 à Rouen est souvent basée sur les souvenirs du citoyen Cord’homme, oncle de Maupassant. Ce citoyen ardent républicain se montre tendre vis-à-vis de Deschamps. Celui-ci membre du même club Républicain s’est précipité à Paris après la chute du roi. Il est alors désigné Commissaire du Gouvernement provisoire (préfet). Souvent opposé par Cord’homme à Sénart chef de file du Comité Démocratique, on les voit là dans ces articles au jour le jour, collaborer pour le maintien de l’ordre Républicain. Il ira jusqu’à interdire les rassemblements et défilés.

 

Plusieurs points ressortent dans ces pages

v     La révolution de février 1848 est soutenue dans le Journal de Rouen. Cette révolution c’est celle qui a chassé le Roi et l’a remplacé par la République. Certes cela s’est fait par des mouvements de masse et même par des barricades

v     Le Journal de Rouen tentera à plusieurs reprises de justifier la Révolution de février en l’opposant aux méthodes et demandes de celle de Rouen. Il tentera même de délimiter en quoi  les barricades parisiennes étaient légitimes et pas celles de Rouen. « Ouvriers, la Révolution est complètement terminée fera même affiché le Maire de Rouen.

v     Le Journal de Rouen (JDR), le Maire, Sénart parlent souvent de désordres fomentés par des perturbateurs. Le 9 mars le JDR propose de « blâmer énergiquement les auteurs des désordres graves de Malaunay et Montville » et de les signaler « à la vindicte des lois ». Qui sont-ils ? « Des ouvriers formant un rassemblement nombreux ».  Ils sont décrits comme « des hommes très robustes, à figures sinistres, à l’allure exaspérée ». Deschamps parle « des agitateurs intéressés au désordre, des libérés sous surveillance qui sont les vrais ennemis de la République ». Le JDR donne des conseils aux ouvriers comme celui de ne pas se grouper entre eux car ces groupes causent des paniques. Il rappelle qu’il est interdit aux citoyens déchus de toute action politique légitime de participer aux clubs. Mais il apparaît aussi qu’un certain nombre d’ouvriers présentés comme repris de justice, ont déjà été condamnés pour « délit de coalition »

v     On trouve aussi les revendications des ouvriers. Ainsi les délégations d’ouvriers de St Sever ou la manifestation de Pavilly demandent la journée de 10h au lieu de 12. Ainsi cette polémique sur les machines dans le numéro du 27 février : Faut-il casser les machines ou apprendre aux ouvriers « que l’augmentation de richesses résultat de l’emploi des machines tournera toute entière à leur profit ». La question des salaires est également posée. Pour le commissaire Deschamps « la question des salaires est bien plus grave que celle du temps de travail car elle touche à la concurrence des marchés étrangers ».Mais pour le JDR « en tous temps les démonstrations ayant pour objet de forcer la main aux chefs d’industrie sur les questions des salaires ou la durée du travail ont été choses répréhensibles au point de vue de la liberté des contrats, et fâcheuses pour l’ordre public. Enfin on apprend qu’un « toit va être installé sur les wagons de 3è classe »

v     Cette question de concurrence est aussi portée par le Maire de Rouen qui demande aux ouvriers « de renoncer aux défilés car vous connaissez la crise commerciale et industrielle » Aussi « vous contribuerez beaucoup à la cause de la République en restant calmes et paisibles dans vos ateliers »

v     La question des armes est aussi posée. La garde nationale est composée de bourgeois. Si la Révolution l’ouvre aux ouvriers, il n’y a pas d’armes pour eux. Et dans les émeutes à Rouen, Lillebonne ou Elbeuf, la 1ère préoccupation des émeutiers est de récupérer des armes, d’où les nombreuses visites à domicile chez les gardes nationaux pour s’emparer de leurs fusils. Et là aussi, dans les 3 villes les 1er coups de feu qui déclenchent la fusillade de la garde nationale ont une provenance inconnue… même si 0 Rouen on apprend ensuite que ce serait des tirs involontaires d’un garde.

v     La garde nationale se montre souvent hostile. Hostile à la nomination de Deschamps, agissant sans ordre, tirant sans ordre, remplaçant la municipalité à Elbeuf, provoquant des incidents à St Sever,  attaquant une réunion du club démocratique rue des Arsins…

v     En face on découvre « ces citoyens qui appartiennent à l’opinion communiste » priés de se retirer des listes de candidats, ces militants venus de Lyon, du Sud, ou de Paris. Ceux qui vont faire cesser le travail dans les usines de Brionne ou d’Elbeuf. Ces agitateurs qui tiennent meeting au cimetière monumental de Rouen où sont groupés 7000 sans emploi

 

25 février 1848 on lit dans La Patrie

« Paris six heures du matin, était couvert de barricades. Tous les citoyens les plus paisibles concouraient à relever les pavés, à forger des pics ; des travaux gigantesques ont été accomplis. A huit heures le rappel battait dans les rues et la garde nationale se rassemblait.

Des milliers de citoyens armés de fusils, de sabres, de piques, de pistolets, se rendaient silencieusement derrière les barricades »

 

A Rouen déjà les Républicains bourgeois menacent les ouvriers :

 

 

« Ouvriers

Les noms des membres du gouvernement nouveau vous disent assez que la révolution est faite par le peuple pour le peuple.

Comprenez bien que c’est à vous surtout que toute agitation serait funeste.

Ayez confiance, et abstenez-vous de démonstrations inutiles et qui ne peuvent que compromettre vos intérêts… » Signé J. Senard, Justin, Cazavan, Visinet, Esclavy

 

 

26 février à Rouen :

Le maire de Rouen lance un appel au nom des différents groupes du conseil municipal :

 

 

« Citoyens

Des faits déplorables se sont passés dans la soirée d’hier.

A Huit heures, l’embarcadère du chemin de fer, à la rue Verte, a été envahi. Des dégâts considérables, de nature à compromettre la sûreté et la vie des voyageurs, y ont été commis. . .

L’embarcadère de Saint Sever a également été menacé, et les gades nationaux qui s’y trouvaient de service ont été assaillis d’une grêle de pierre.

Mais le fait le plus coupable est l’incendie du pont du chemin de fer, dont deux arches, du côté de la rive gauche de la Seine, ont été brûlées. . .

Le conseil municipal et les comités siégeant avec lui, organes des citoyens de toutes les opinions, ne sauraient exprimer trop énergiquement leur indignation à la vue de pareils actes ».

 

Le prix du pain dans la ville de Rouen sera baissé de 2 centimes par kilogramme, à compter d’aujourd’hui samedi ; ce qui mettra le pain blanc dit régence à 35 centimes le kilogramme, le pain bourgeois à 30 centimes et le pain bis à 22 centimes

 

Dans son supplément le « Journal de Rouen » publie ces dernières nouvelles :

« On a répandu ce matin à Rouen les nouvelles les plus fâcheuses sur l’état de Paris et des environs. On dit qu’on se bat, qu’on pille, qu’on brûle, et chacun, là-dessus, a ses diseurs, ses commentaires, et ses détails particuliers.

Tous ces bruits, Dieu merci ! SONT FAUX

Tout est calme. L’ordre est partout rétabli. Les détails dont notre correspondance est remplie, montrent que le Gouvernement nouveau s’organise de la manière la plus régulière.

Les services financiers mêmes sont assurés. M. de Rotschild, dont ‘intervention est une preuve manifeste qu’il a pleine confiance dans l’avenir du Gouvernement, met son crédit à sa disposition :

« Nous apprenons, d’une source officielle, que M. de Rotschild a mis son crédit à la disposition du gouvernement provisoire, et qu’il lui a garanti le paiement exact et régulier de l’emprunt souscrit par lui sous le dernier Gouvernement. C’est là un témoignage de confiance qui ne peut manquer de faire une très vive impression sur le pays.

Nous pouvons de plus assurer que, dès à présent, le nouveau Gouvernement est en mesure de payer le semestre de rente 5%, qui écherra le 22 mars prochain. Les petits rentiers peuvent donc être tranquilles : leurs moyens d’existence ne leur seront pas enlevés

Que les bons Citoyens se rassurent donc »

 

Au conseil municipal de Rouen :

« On a introduit au sein du Conseil une députation de six ouvriers du quartier Saint-Sever, venant annoncer que le matin des perturbateurs étaient venus faire évacuer les ateliers, et réclamant le concours de la force publique pour assurer la liberté de leur travail

Le conseil a remercié avec effusion la députation de son honorable et patriotique démarche, qui témoigne de l’excellent esprit de l’immense majorité de notre population ouvrière

 

Le maire de Rouen fait afficher la proclamation suivante

Ouvriers !

La Révolution est complètement terminée.

Le gouvernement nouveau s’organise, et vous savez bien que votre sort sera le premier objet de sa sollicitude.

Mais, pour qu’il puisse travailler utilement à votre bien-être, il faut que la paix et le calme se rétablissent partout.

Retournez à vos travaux !

Votre présence hors de vos ateliers entretient une agitation toujours fâcheuse, et dont vous êtes les premiers à souffrir.

Ouvriers !

Nous faisons appel à votre patriotisme. Comme nous, vous voulez le maintien de l’ordre, vous avez horreur des dévastations et des incendies dont les auteurs, sont déjà flétris par la justice, vont êtes bientôt saisis et livrés à la rigueur des lois.

Vous resterez, n’est-ce-pas, ce que vous êtes toujours, neutres dans les crises qui ont affligé notre cité, laborieux, fidèles à vos devoirs de famille et de bons citoyens et, par votre accord avec nous, vous aiderez le Gouvernement à accomplir, l’œuvre de notre régénération.

Signé : Fleury

 

3 heures de l’après midi

Une nouvelle députation d’ouvriers du faubourg Saint-Sever, conduite par M. Pellouin, vient protester contre les désordres de la veille, annoncer l’intention de reprendre immédiatement ses travaux, et réclamer l’intervention du Conseil pour obtenir des chefs d’industrie une augmentation de salaire et la réduction du temps de travail à dix heures par jour. Car, a dit M. Pellouin, il faut que l’ouvrier puisse, en dehors de son travail journalier, donner quelques heures au repos et à la culture de son esprit.

Il a été répondu que les questions de salaire et d’organisation du travail étaient trop graves et trop compliquées pour pouvoir être résolues par un Conseil municipal ; mais qu’elles feraient l’objet des premières préoccupations du Conseil dans ses communications avec le Gouvernement, dès que celui-ci aurait pu se consolider et se livrer à des travaux législatifs en rapport avec son origine toute populaire.

La députation, comprenant ces raisons, s’est retirée en renouvelant l’assurance de résister à toute tentative de trouble dans la population des ateliers ;

Mais dans l’édition du lundi 28 février, une mise au point  de Pellouin est publiée :

« Les ouvriers par mon organe, ont sollicité l’intervention du Conseil pour obtenir du Gouvernement une loi qui fixe à dix heures le travail dans les manufactures, mais il n’a nullement été question de cette intervention pour solliciter des chefs d’établissements une augmentation de salaire, dont il n’a pas été  parlé devant le Conseil.. Il m’importe de rétablir les faits car autant que qui que ce soit, je sais que le prix du travail doit être librement débattu entre chefs et ouvriers ».

 

Dimanche 27 février

Hier à Paris, quelques rassemblements désireux de se mettre en communication avec le Gouvernement provisoire, avaient presque envahi l’Hôtel de ville. Mr Lamartine fit comprendre à cette foule que le Gouvernement avait besoin de repos et de calme pour délibérer.

Depuis trois jours, présente chaque soir un aspect véritablement féerique. Dans presque tous les quartiers de la capitale, les maisons sont illuminées depuis le premier étage jusqu’aux étages les plus élevés

Hier soir les boulevards étaient encombrés de promeneurs, hommes, femmes, enfants, qui semblaient se demander comment après une si grande  commotion, il pouvait se faire que tant d’ordre régnât. . .

Le château de M. de Rotschild, près d’Asnières, a été brûlé par des détenus de Poissy qui se sont échappés. Le château de Neuilly est presque entièrement consumé. Cependant on a pu sauver du désastre la bibliothèque, quelques tableaux et une énorme quantité d’argenterie et de vaisselle plate.

 

Polémique aussi dans ce numéro du « Journal de Rouen » sur le bri des machines.

Les uns s’écrit : « S’attaquer aux mécaniques c’est ralentir, c’est étouffer la voix de la Révolution, c’est, dans les graves circonstances où nous sommes, faire œuvre de mauvais citoyens »

Mais d’autres se montrent plus compréhensifs :

« Les ouvriers ne connaissent jusqu’à présent les machines que par leur influence mortelle sur les salaires et sur le nombre de bras employés. Il faut apprendre aux ouvriers que l’augmentation de richesses résultant de l’emploi des machines tournera toute entière à leur profit.

Les machines sont au monde nouveau ce que les esclaves étaient au monde ancien. Elles affranchissent l’homme de tous les rudes labeurs et ne lui laissent plus dans l’industrie que le rôle de la direction, le rôle de l’intelligence »

 

 

 

 

Direction des Postes de Rouen

« Le directeur des postes de Rouen à l’honneur de prévenir le public que, les communications par le chemin de fer entre Rouen et Paris étant interrompues, une malle sera envoyée le soir à sept heures ».

 

Lundi 28 février

Dans la journée, un rassemblement s’est porté à l’établissement de la filature de lin connu sous le nom de La Foudre ; le motif du désordre était la demande de renvoi des ouvriers anglais employés dans l’usine. Des détachements de garde nationale et de troupe de ligne sont promptement accourus, et tout s’est borné aux bris de nombreux carreaux de vitres. C’est pour nous, comme pour tous les bons citoyens, un devoir de protester contre des actes de brutalité sauvage, qui constitueraient l’atteinte la plus grave à la liberté du travail et de l’industrie, et seraient un déplorable contraste avec les sentiments de fraternité des peuples, qui sont la base de notre Gouvernement Républicain

 

Mardi 29 février

Provocations contre Deschamps

Mr Deschamps, a été nommé commissaire délégué par le Gouvernement provisoire.
Aux menaces, aux murmures, qui depuis trois jours, se manifestaient dans les rangs d’une partie de la garde nationale, on était venu à redouter que cette première entrée du délégué du Gouvernement ne fut très orageuse et même n’amenât quelque collision.

Sur le passage de M. Deschamps, à son entrée et à sa sortie, sont parties, des rangs de la garde nationale, des marques très inconvenantes de répulsion, très inconvenantes, disons-nous, à l’égard d’un homme inoffensif

 

Manif de Pavilly à Duclair

Le bourg de Duclair a été en émoi une partie de la journée d’hier. Vers midi, une troupe d’environ 4 à 500 ouvriers des vallées de Pavilly et Barentin s’y sont portés, afin d’obtenir des filateurs de la localité une diminution des heures de travail. Plusieurs habitants et les représentants de la commune leur ont fait distribuer du pain et du cidre, qu’ils ont accepté avec reconnaissance, et ils sont repartis pour rentrer chez eux, après avoir fait le tour de la ville aux cris de Vive Duclair !

Nous ne saurions trop prévenir la population ouvrière contre la tentation à renouveler de pareilles démarches, qui ne sauraient d’ailleurs aboutir, quant à présent, à aucun résultat effectif pour l’amélioration de leur sort, et qui seraient, au contraire, de nature à le compromettre gravement.

En tous temps, les démonstrations ayant pour objet de forcer la main aux chefs d’industrie sur les questions de salaire ou la durée du travail ont été choses répréhensibles au point de vue de la liberté des contrats, et fâcheuses pour l’ordre public. Cependant, on pouvait les expliquer, et les excuser sous le régime ancien, où les conditions respectives des classes étaient mal réglées par la législation.

 

Proclamation aux ouvriers signée Deschamps

« Le commissaire du Gouvernement pour le département de la Seine Inférieure, informé que les ouvriers français de l’établissement La Foudre se livrent à des désordres et à des atteintes graves contre la propriété, invite, au nom de la République, les ouvriers à rentrer dans le calme.

Le commissaire leur atteste que l’une des premières lois dont le Gouvernement doit s’occuper, dès qu’il sera définitivement constitué, sera une loi sur les manufactures, et notamment sur les salaires.

Ils peuvent compter que tous leurs droits seront respectés ; mais qu’ils respectent aussi le droit d’autrui, et qu’on ne puisse jamais leur reprocher d’avoir souillé une Révolution si belle par le pillage et l’incendie »

 

 

1er mars 1848

Les délégations se succèdent

Les ouvriers de Maromme avaient à peine quitté l’Hôtel de Ville, qu’un très grand nombre d’ouvriers des principaux établissements de Saint-Sever et de Sotteville se sont présentés pour faire entendre quelques réclamations, et pour proclamer leur adhésion pleine et entière au Gouvernement Républicain

« Des ouvriers fileurs de divers ateliers, ayant porté à la mairie de Rouen des réclamations qui, en l’absence de dispositions législatives expresses sur la matière, ne sauraient être résolues que par le commun accord des parties intéressées, Mr le Maire invite MM. Les chefs des établissements de filature à se réunir aujourd’hui, à deux heures de l’après-midi, à l’hôtel de Ville, pour s’y concerter sur les concessions qui seraient possibles, sans porter atteinte à la liberté du travail et des transactions, ainsi qu’aux intérêts généraux de l’industrie ».

 

 

Ouvriers-étudiants au quartier latin

« Les barricades du quartier Latin ont été faites avec une rapidité et une force vraiment extraordinaires et imposantes. Les étudiants et les ouvriers s’entendaient comme par enchantement. C’étaient la tête et les bras de la Révolution, comme la garde nationale en a été la sauvegarde. »

 

De partout arrive l’adhésion à la République

« Le mot République n’effraie plus que les vieilles femmes, et encore parce que, suivant elles, on va interdire les églises. Qu’elles se désabusent ! la protection des cultes est assurées ; car la République respecte toutes les croyances à un égal titre. Née de la libre pensée, elle mentirait à elle-même si elle venait à violenter ou opprimer les consciences. Elle ne le fera pas ! »

Non seulement les communes adhèrent à la république mais aussi les notaires, les groupements etc. .

 

Jeudi 2 mars 1848

« Mr de Rotschild a donné 50 000 francs pour les blessés de la Révolution

 

Vendredi 3 mars

« Malgré la déplorable réussite de l’expédition qui s’étaient engagée, dans la commune de Petit Quevilly, contre les ouvriers et ouvrières irlandais employés à la filature de lin, des troubles paraissaient devoir se renouveler dans l’établissement La Foudre. Le nouveau commissaire central de police, M. Prospert, s’y est transporté, et par son intervention toute pacifique, il est parvenu non seulement à apaiser la masse des récalcitrants, mais encore à les faire repentir de l’acte si  répréhensible d’inhospitalité qu’ils avaient commis contre les ouvriers étrangers.

La voix de la raison et de la logique a triomphé des préjugés sauvages auxquels les ouvriers de La Foudre avaient cédé un moment excités, comme ils l’ont déclaré, par une bande de dévastateurs, la même qui avait mis le feu au pont de Brouilly, aux cris de mort aux Anglais et aux chemin de fer ! Ils ont pris, au nom de la République, l’engagement solennel, non seulement de laisser rentrer leurs collaborateurs anglais, mais encore de les défendre fraternellement contre toute agression venant du dehors »

 

« 200 hommes d’infanterie ont été hier soir dirigés de Rouen sur Bolbec pour assurer la tranquillité de la contrée, où de graves atteintes avaient été portées contre plusieurs établissements industriels »

 

 

Proclamation de Deschamps

« Citoyens de la Seine Inférieure

Vous répondrez les premiers à cet appel en versant immédiatement dans les caisses publiques l’arriéré de vos contributions, ainsi que les douzièmes échus de l’année 1848, vous épargnerez au Gouvernement provisoire la nécessité d’invoquer, pour vous y contraindre, une autre autorité, un autre sentiment que celui du patriotisme. Ce n’est pas au moment où vos frères de la Capitale se cotisent généreusement pour augmenter de leurs deniers, les ressources publiques, que vous rendriez l’emploi de la rigueur pour le recouvrement de vos contributions »

Lancement d’une souscription pour les ouvriers sans ouvrage

Cette souscription remplira des pages complètes de souscripteurs dans les pages du Journal de Rouen. Le 8 mars le maire de Rouen après avoir rappelé cette souscription, la distribution de bons de pain et l’ouverture prochaine d’ateliers communaux ajoutera :

« La mendicité n’a donc plus de prétexte »

 

 

5 mars 1848

Sotteville pour la gratuité

Le conseil municipal de Sotteville vient de prendre tout récemment une décision sur laquelle il importe d’appeler l’attention publique.

Il a décidé en principe que l’instruction primaire pour les enfants de cette commune serait gratuite.

Il a décidé en même temps que les enfants indigents qui fréquenteront cette école seront aussi pourvus gratuitement du matériel de classe, tel que livres, plumes, papier etc.

Ces résolutions réellement prises dans l’intérêt des familles pauvres, seront comprises par tous les parents, et ils s’empresseront d’envoyer avec exactitude leurs enfants dans cette école, qui compte déjà plus de cent élèves, pour y recevoir l’instruction primaire.

 

9 mars 1848

Egalité salariale

« Le bruit s’était répandu dans la ville hier, à la fin de la journée, que des désordres graves avaient éclaté dans les communes de Malaunay et de Monville. Les rumeurs qui circulaient à cette occasion avaient  beaucoup exagéré le mal. Cependant, en le réduisant même dans les limites du vrai, il importe encore d’en blâmer énergiquement les auteurs et de les signaler à la vindicte des lois.

Des ouvriers formant un rassemblement nombreux, se sont portés sur la commune de Malaunay, et là, ils se sont rendus à la filature exploité par M. Lemoyne. Ils se sont emparés de sa personne, l’ont forcé à les suivre pieds nus jusqu’à Monville, en faisant entendre contre lui des menaces. Le maire de Malaunay, M. Mallet, s’est interposé. Il est parvenu à protéger M. Lemoyne contre de plus grandes violences. Arrivés à Monville une transaction est intervenue sur la cause ou le prétexte de ce tumulte qui parait être une différence de salaire entre la filature de M. Lemoyne et quelques établissements de Maromme. M. Lemoyne a pu regagner tranquillement son domicile, et tout était pacifié, lorsque sont arrivés le commissaire central et un détachement de cinquante hussards, envoyés sur les lieux par le Commissaire du gouvernement à la nouvelle de ces désordres.

On s’étonne du rôle passif conservé, pendant toute cette scène de tumulte, par la garde nationale de Malaunay et par la compagnie de pompiers, dont M. Lemoyne est le chef.

La plupart des ouvriers composant le rassemblement paraissaient être des ouvriers inoffensifs, plus attirés par la curiosité que par la colère. Quelques agitateurs, inconnus pour la plupart aux ouvriers eux-mêmes, semblent diriger seuls ces mouvements.

Des motifs étrangers même aux intérêts des ouvriers étaient publiquement indiqués comme pouvant être la vraie cause de ces désordres.

Quoi qu’il en soit, l’autorité est disposé à remonter à la source, et quelques soient les auteurs de ces troubles, qui n’ont pour résultat que de tenter de faire peser sur le Gouvernement nouveau la responsabilité indirecte de ces violences, ils seront l’objet d’une répression sévère ».

 

Des travaux pour les bras inoccupés sont décidés :

Chemin de Maromme à Bois guillaume                                        4000frs

Ville de Rouen divers ateliers                                                     10 000frs

Chemin de Monville à la départementale 33                                 4000frs

Chemin de Maromme à Duclair                                                    5000frs

Chemin d’Elbeuf à Boos                                                               2000frs

Chemin de Darnétal à Cailly                                                         3000frs

Chemin de Duclair à Grand Couronne                                          8000frs

Chemin de Darnétal à Loyns la Forêt                                            6000frs

Chemin de Monville à Pavilly                                                       2000frs

Chemin de Pavilly à Caudebec                                                      4000frs

 

10 mars 1848

A Glascow aussi

« Des troubles d’une nature plus sérieuse ont éclaté à Glascow, la seconde ville d’Ecosse, et l’un des plus grands centre manufacturiers des trois royaumes, comme aussi l’un des foyers les plus ardents du communisme. Les ouvriers de Glascow étaient déjà en proie à d’assez vives souffrances ; le contrecoup de la Révolution parisienne est venu frapper cruellement cette ville, où d’importantes opérations étaient engagées avec la France et la Belgique, et qui ont été suspendues par suite des évènements. Le moment a paru favorable aux communistes pour une levée de boucliers.

 

11 mars 1848

Un règlement provisoire pour les manufactures signé Deschamps :

Pour Deschamps la question des salaires est bien plus grave et plus difficile que celle du temps de travail.

« Elle touche à tous les intérêts du pays, au sort de tous les manufacturiers comme au bien-être de tous les travailleurs, à la possibilité de placer les produits manufacturés, à la concurrence avec les marchés étrangers.

Il faut de longues études pour la résoudre. Ces études se font sous la direction d’un membre du Gouvernement provisoire.

Les manufacturiers, cédant aux désirs manifestés par ceux qu’ils emploient, voulant à l’avance leur assurer les avantages qu’ils ont droit d’espérer dans un avenir meilleur, ont consenti à leur accorder des conditions de salaire plus satisfaisantes.

Dans les circonstances désastreuses où est placé aujourd’hui le commerce, cette concession est faite au prix des plus grands sacrifices. Cependant, comme elle est garantie d’ordre et de tranquillité, le commissaire du Gouvernement a pensé que les mesures réclamées par les ouvriers et consenties par les manufacturiers, dans une assemblée tenue à cet effet, devaient être provisoirement converties en règlement général jusqu’à l’époque de la promulgation de la loi définitive.

En conséquence

Le commissaire du Gouvernement provisoire pour le département de la Seine Inférieure,

Arrête ce qui suit, par forme de règlement général, applicable à tous les ateliers de filature et de tissage :

  1. Conformément à l’arrêté général du Gouvernement provisoire, la durée de la journée de travail est fixée à onze heures, non comprises les heures de repas. Tous les manufacturiers sans exception, réduiront leur travail dans cette limite.[2]
  2. Les ouvriers fileurs, travaillant sur les métiers jenny mull. Seront payés à un centime du numéro par kilogramme, quels que soient le nombre de broches du métier et la torsion du fil pour chaîne ou trame, et quel sue soit le numéro.
  3. Les ouvrières rattacheuses de continus seront payées 5 centimes au-dessous du numéro.
  4. Les ouvrières à la journée seront payés 1fr25c par journée de 11 heures
  5. Les ouvrières tisserandes seront payées 4 c. le mètre pour les calicots compte 30, et 3 c. pour les calicots dits d’Algérie, quelle que soit la largeur.
  6. Tous les ouvriers et ouvrières, autres que ceux dont il est parlé ci-dessus, s’entendront avec les chefs d’établissements réciproques sur le prix de leur travail.
  7. Toutes amendes seront versées dans une caisse de secours spécialement applicables aux ouvriers malades ou indigents de chaque établissement.
  8. Il ne sera point fait de retenue par franc sur les paiements en argent.
  9. Pour régler toutes les difficultés non prévues au présent arrêté, et pour toutes celles que son exécution ou son interprétation pourrait soulever, un jury spécial, composé de six manufacturiers et de six ouvriers, sera constitué.

Ce jury pourra juger au nombre de six membres.

Il se réunira au siège de l’administration départementale.

Les manufacturiers et les ouvriers se conformeront à ces décisions comme à un arbitrage souverain.

La composition de ce jury sera arrêté dans le plus bref délai

      10.  Le présent arrêté sera publié et affiché dans toutes les communes manufacturières du                         département, et transmis aux commissaires du Gouvernement dans les départements de l’Eure   et du Calvados.

Le 10 mars 1848

F. Deschamps

 

Chantiers communaux Rouen

« Hier, dans la matinée, un peu d’émotion s’est manifesté parmi les ouvriers employés aux travaux  extraordinaires payés sur les fonds communaux et sur le montant des fonds de souscription que l’on recueille de tous côté dans la ville. Excités par quelques meneurs, ces ouvriers sont venus à l’Hôtel de la préfecture d’abord, puis de l’Hôtel de ville, réclamer que le salaire fût porté de 75c. à 1 fr »

Mr Lebailleur, maire provisoire, dans un langage, à la fois ferme et conciliant leur a répondu qu’on ne pouvait les payer au même prix que ceux qui ont un travail, que le prix du pain avait diminué et…

« Ces paroles énergiques et dignes ont été comprises par les ouvriers réunis, qui ont quitté l’Hôtel de Ville pour reprendre immédiatement leurs travaux, en promettant d’engager leurs camarades à suivre cet exemple de retour au calme et à la modération ».

 

Panique à la banque

L’affluence était toujours considérable ces derniers jours, et surtout hier, pour obtenir l’échange contre du numéraire des billets de la Banque de Rouen. Quelques mesures de précaution ont dû être prises pour maintenir la liberté de circulation.

Nous ne saurions trop déplorer cette misérable disposition d’esprit qui entretient et développe la panique chez les porteurs de billets de la banque et les fait ainsi se presser autour des comptoirs d’échange, comme si leurs titres n’étaient entre leurs mains que des assignats sans valeur et sans hypothèques

 

Un toit en 3è classe

Les conseils d’administration des chemins de fer de Paris à Rouen et de Rouen au Havre ont donné l’ordre de faire couvrir leurs voitures de 3è classe

 

12 mars 1848

Déclaration du maire de Rouen aux ouvriers sans travail

Citoyens travailleurs

La crise qui pèse momentanément sur le commerce et l’industrie laisse un grand nombre d’entre vous sans occupation.

Cette situation difficile ne peut durer longtemps, surtout si vous concourez au retour de la confiance par une attitude calme et modérée.. . .

Mais vous comprenez, citoyens, que ces ateliers ne peuvent recevoir que ceux d’entre vous qui ne trouveraient pas à s’occuper dans les établissements industriels, qui leur fourniront toujours un travail mieux rétribué, plus digne de citoyens qui ne veulent devoir qu’à eux-mêmes leur existence et celles de leurs familles….

 

13 mars 1848

Refus de loger des soldats

Un bataillon du 69è de ligne est arrivé hier à Rouen, venant de Paris. Suivant l’usage, les militaires qui le composent ont été logés chez l’habitant.

Nous apprenons que quelques difficultés ont été élevées par des citoyens qui refusaient de recevoir des soldats se présentant chez eux munis de billets de logement. Ce ne peut être là que le résultat de malentendus…

 

14 mars 1848

Le salaire des teinturiers en rouge

            Deschamps prend un nouvel arrêté sur le salaire des teinturiers

« Considérant qu’il a été reconnu dans une réunion de teinturiers et de leurs ouvriers, tenue sous notre présidence, que le chiffre du salaire de la journée de onze heures pouvait être provisoirement fixé, pour concilier tous les intérêts à 2fr 25c.

Arrête

La journée de travail sera pour les teinturiers en rouge, d’une durée de onze heures, non compris les repas.

La journée ainsi limitée sera payée au pris de 2 frs 25c. aux ouvriers

 

18 mars 1848

Des fusils pour qui ?

Suite à des rumeurs le Journal de Rouen fait la mise au point suivante

« On va disant aux ouvriers que la mairie ne délivre d’armes qu’aux bourgeois et aux bourgeois qu’elle a délivré ou va délivrer, sans discernement aucun, 10 000 fusils au moins aux ouvriers.

Or l’effectif bourgeois de la garde nationale est, à très peu d’hommes près, le même qu’il était avant les évènements de février, et la mairie ne saurait délivrer à qui que ce soit 10 000 fusils, puisqu’elle en possède à peine 400 disponibles. C’est seulement depuis deux jours que les inscriptions sont ouvertes à l’admission des ouvriers dans les rangs de la garde nationale ; aucun fusil ne leur a été donné encore, et il n’en sera donné à personne autrement que dans le rang d’inscription, et après vérification de la moralité et de l’aptitude au service ».

 

19 mars 1848

Des conseils pour les réunions de club

« Notre vœu le plus cher est que dans les clubs se mêlent le plus possible et s’associent fraternellement toutes les fractions de la population ; mais pour la garantie de l’ordre, pour le respect de l’individualité propre à chacune de ces fractions, il importe essentiellement que, lorsque les ouvriers déshérités jusqu’ici de tout droit d’association et de réunion politique, veulent délibérer seuls ou dominer seuls leur délibération, les hommes précédemment en possession exclusive du droit de discussion laissent les nouveaux émancipés s’essayer en toute liberté à l’exercice du droit, très nouveau pour eux, mais à jamais consacré et dont nul ne pourra plus les dépouiller impunément.

Maintenant une recommandation aux ouvriers. Quand ils se retirent le soir de leurs assemblées, qu’ils évitent de se grouper processionnellement. Ces groupes assurément sont fort inoffensif d’intention, de volonté et d’actes ; mais en raison même de ce qu’ils ont d’inusité, ils causent des paniques, et nous sommes, nous trop fortement rassurés sur la parfaite honorabilité des artisans et des ouvriers de notre ville, pour douter qu’ils restent insensibles à l’appel patriotique que nous leur adressons, dans le but de voir écarter même les plus légers prétextes de trouble et d’inquiétude. A plus forte raison ces groupes de curieux qui viennent régulièrement stationner devant les lieux de réunion politique, qu’ils feraient sagement de rester chez eux et de débarasser la voie publique de leurs bourdonnements, sans utilité pour eux et nuisibles à la circulation.

Il est une classe d’individus qui n’appartiennent à aucune classe de citoyens, qui sont déchus de toute action politique légitime. Ils ont le droit de travailler pour vivre, ils n’ont pas celui de souiller de leur présence la vie politique des travailleurs honnêtes. Que les malheureux placés sous la surveillance de la police se tiennent donc pour bien avertis que l’ordre formel a été donné par M ; le commissaire central de les arrêter, non pas seulement quand ils auraient causé du trouble dans un club, mais quand ils se seront même contentés d’y entrer, et que tous les bons citoyens s’applaudissent de cette bonne mesure, parce qu’elle leur promet une garantie de plus de tranquillité et de sécurité.

 

24 mars 1848

L’archevêque de Rouen et les élections

« Monsieur le curé,

Les élections approchent. Nous sommes tous appelés comme citoyens, à y concourir, et M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, par sa circulaire en date du 11, ne nous laisse pas ignorer qu’il compte sur nous en cette circonstance.

Nous irons donc aux élections Monsieur le curé, c’est un tribut à payer à la mère patrie.. .

Etrangers comme nous sommes, à tout esprit de parti, nous chercherons uniquement, Monsieur le curé, le bien général, et peut-être aiderons-nous ainsi à ce que la France ait pour représentants des citoyens probes et fermes, amis de l’ordre dans la liberté, amis des vrais intérêts du Peuple, ami de notre prospérité et de notre dignité nationale.

Pour faciliter à tous l’accomplissement du devoir électoral, vous voudrez bien, Monsieur le curé, le dimanche 9 avril, célébrer la messe à cinq heures et même à quatre heures du matin. Dans la même pensée, je vous autorise à ne dire, ce jour-là, qu’une messe basse, et même, si besoin est, à supprimer l’office de vêpres. Le dimanche précédent, vous préviendrez vos paroissiens des dispositions prises. »

 

 

25 mars 1848

Nouvelle déclaration du maire de Rouen aux ouvriers sans travail

…  « Dans la journée d’hier, vous êtes allés en corps fraterniser avec vos amis, vos frères des communes voisines.

C’est un noble sentiment, qui vous guidait, et je rends hommage au calme et à l’ordre qui ont présidé à vos démarches.

Cependant, mes amis, je vous demande d’y renoncer, au moins provisoirement.

Vous connaissez la crise commerciale et industrielle qui pèse sur le pays. Il faut que la confiance renaisse ; car sans la confiance, pas de crédit ; sans le crédit, pas de travail, misère pour tous.

La sainte cause de la République ne doit pas périr, et vous contribuerez beaucoup, chers citoyens, à son triomphe, en restant calmes et paisibles dans vos ateliers.

Ouvriers, mes frères, renoncer donc à ces déplacements qui effraient la population, nuisent aux transactions commerciales et compromettent la tranquillité publique,  dont vous me promettiez encore, il y a quelques jours, d’être les plus fermes soutiens. »

 

Vengeance ou récupération de bois ?

Hier dans la matinée, un rassemblement de plusieurs centaines d’ouvriers est entré dans un bois appartenant à M. Henri Barbet et situé sur le territoire de la commune de Maromme. Ils s’y étaient livrés à des dégâts assez considérables. Une grande quantité de bois a été enlevée, des arbres ont été coupés sur pied, la force armée a dû intervenir ; un détachement de cavalerie et d’infanterie, accompagnant le commissaire central, s’est rendu sur les lieux. La gendarmerie de Maromme, qui s’y était également transportée, a été sur le point de s’emparer d’un des pillards, mais il est parvenu à échapper par la fuite à ses poursuivants ; cependant il a été reconnu, et tout fait penser que bientôt il aura à rendre compte à la justice de son délit. L’autorité a prévenu d’ailleurs tous ceux qui faisaient partie du rassemblement que si des actes aussi coupables se renouvelaient, le bois serait cerné, et que toute personne qui y serait trouvée sans cause légitime serait l’objet de mesures de répression.

 

Incident à St Sever

« Nous avons exprimé plus haut notre sentiment sur les inconvénients que présentait ces promenades d’ouvriers à travers la ville, et qui, bien qu’ayant un caractère inoffensif, provoquait la population. . .

Hier le bataillon d’ouvriers passait devant le poste des gardes nationaux, situé devant l’église, le sergent de ce poste se prit à dire : « Est-ce qu’on ne croiser pas la baïonnette contre ces b…-là ? »

A cette malencontreuse et provocante saillie, la portion du groupe par qui elle est entendue enveloppe aussitôt le poste, et les plus emportés ne parlent rien moins que de le désarmer tout entier ; mais aussitôt des voix raisonnables se font entendre et déclare qu’il est impossible de rendre tout un poste responsable du fait d’un seul homme. Toutefois on demande réparation de l’acte du sergent, et ses camarades l’accordent en lui enlevant eux-mêmes ses insignes et en les remettant aux offensés. Cette expiation obtenue, le bataillon s’est reformé et a repris immédiatement sa marche. »

Un autre incident se produisit devant l’Hôtel de ville. Le JDR rapporte qu’alors que le cortège stationnait devant, un groupe d’artilleurs vint se positionner entre le groupe et l’Hôtel de ville. L’officier qui commandait vint parlementer, et les invita à poursuivre leur défilé. En échange il leur fit rendre les honneurs militaires !

 

 

 

28 mars 1848

Libérez Blanchard !

Dès dimanche, le bruit s’était répandu que des ouvriers des diverses communes environnantes devaient se transporter à Rouen lundi, sous le vain prétexte de fraterniser avec les ouvriers de nos ateliers communaux, qui, hélas !, ne se montrent que trop généralement mal disposés à gagner, par un travail quelconque, le salaire que, par tant de sacrifices, leur assure la libéralité de la caisse municipale.

L’autorité départementale, avertie de ces fâcheuses dispositions, envoya dans toutes les directions des instructions pour arrêter ou au moins tempérer l’essor de pareilles démonstrations. Les conseils, les exhortations de ses agents n’eurent pas un entier succès dans les vallées. Le flot général des déplacements n’eut pas le cours projeté, mais de trop nombreux détachements se mirent encore en route pour converger vers notre ville.

Pendant ce temps, un commissaire de police et son appariteur, s’étant transportés à l’atelier du Cimetière Monumental pour essayer de calmer par la persuasion l’agitation fébrile qui s’y déployait, y furent très mal accueillis, et eurent même à essuyer, de la part de quelques individus, des rebuffades brutales dont les auteurs auront à rendre compte.

Quoi qu’il en soit la clef des champs était prise par les plus tapageurs, qui ne tardèrent pas à entraîner avec eux la plus grande partie de l’atelier.

Les groupes du dedans s’ajoutant à ceux qui arrivaient du dehors, vers deux heures recommencèrent ces promenades, à travers ville dont nous avions une première fois fait ressortir tous les inconvénients, alors même qu’elles conserveraient l’attitude la plus inoffensive.

Mais vers la fin de l’après midi, commença à se dessiner le but auquel avaient aspiré les instigateurs du mouvement.

Un rassemblement, qu’on peut évaluer à cinq ou six cents personnes, s’est présenté alors au siège de l’administration départementale, réclamant la délivrance des ouvriers qui avaient été condamnés dans le cours de la journée par le tribunal de police correctionnelle, et aussi la mise en liberté du nommé Blanchard, accusé d’être l’un des auteurs de l’incendie du pont de Brouilly.

Le commissaire du Gouvernement les ayant fait prévenir que, si l’attroupement consentait à se dissiper, il recevrait une députation désignée par eux, ils se sont, en effet, retirés sans résistance.

La députation, ayant été introduite, a renouvelé la demande qui rasait l’objet de la démonstration.

M. Deschamps leur a répondu qu’il n’avait pas le pouvoir d’accueillir une pareille demande ; mais que l’eut-il, il n’en ferait certainement pas usage pour interrompre ou anéantir les effets de la justice. . . »

La députation est allée porter la réponse au rassemblement qui l’attendait sur la place Saint Ouen et qui s’y était encore grossi.

Les conjurés se montrèrent rien moins que satisfaits du résultat de l’ambassade, et aussitôt ils se précipitèrent en foule vers Bicêtre. Au premier avis de cette irruption agressive, un des adjoints de la mairie ? Mr Beaudoin s’empressa de ceindre l’écharpe tricolore et de se diriger vers la prison, pour essayer d’opposer la voix de la loi à cette coupable entreprise, en attendant l’intervention de la force armée, qui était commandée.

Bientôt rejoint par deux autres conseillers municipaux à l’entrée de la prison, dont malheureusement les chefs de l’attroupement s’étaient rendus maîtres. Les trois magistrats municipaux allèrent jusqu’à s’offrir tous trois pour otages à la foule, si elle voulait se retirer. Mais une voix formidable leur répliqua : « Ce n’est pas trois otages que nous voulons ; nous n’en demandons qu’un, et c’est Blanchard ! »

La tête de la colonne écarta alors brusquement ses trois interlocuteurs, et la foule, après avoir brisé la barrière intérieure, se précipita dans la première cour.

Les adjoints, rejoints par Lemasson et Durand neveu étaient en face de déterminations aussi arrêtées que violentes, qui se traduisirent enfin par des voies de fait contre les gardiens et le piquet de garde ; une heure s’était écoulée en ces pourparlers, et la troupe n’arrivait pas. Il y avait encore à craindre qu’à la sédition du dehors vint se combiner une sédition intérieure de la part de prisonniers détenus à Bicêtre pour vols et autres crimes infamants. Les magistraux municipaux, à bout d’efforts, et pour prévenir de plus graves conjonctures, ont préféré rendre Blanchard.

La mise en liberté était effectuée depuis quelques instants, lorsque la brigade de gendarmerie d’un côté, et de l’autre des détachements de la ligne et de la garde nationale, sont enfin parvenus sur le théâtre de l’évènement. Mais tout était consommé. »

 

30 mars 1848

La proclamation de Deschamps sur cette affaire

« Des manifestations tumultueuses, des désordres graves, ont lieu, depuis quelques jours, dans la ville et dans les environs.

Il faut que l’ordre et le calme renaissent. Nulle autorité, nulle forme de gouvernement ne peut tolérer de tel excès.

Là, ce sont des actes de pillage assimilables au vol.

Là, des perturbations continuelles sans but et sans résultat.

Il est enfin, des demandes ouvertes de mise en liberté au profit d’individus accusés ou condamnés, et des actes de violence pour l’obtenir.. ..

L’autorité ne peut croire que ces violations de propriétés, ces agitations mauvaises, ces interruptions violentes du cours de la justice, soient l’œuvre du Peuple.

Des agitateurs intéressés au désordre, des libérés en surveillance en trop grand nombre dans ce département, sont seuls capables de porter aussi loin le mépris de toutes les lois.

Comment les ouvriers honnêtes auraient-ils pu avoir la pensée de vouloir délivrer par la violence des prisonniers qui ne peuvent devoir leur liberté qu’à leur innocence démontrée, et des condamnés que la justice a régulièrement jugés ?

Comment auraient-ils pu s’exposer en brisant les portes de Bicêtre, qui contient un nombre considérable d’hommes accusés de vol, d’assassinat, de tous les crimes les plus odieux, à rejeter dans la société toute la lie des prisons ?

Que le véritable Peuple ne prête pas, par sa présence, un appui menteur à de pareils méfaits.

Qu’il se retire et laisse seuls avec leur honte tous ces fauteurs de trouble et de désordre.

Que l’autorité les voie alors dans leur isolement, et qu’elle connaisse les vrais ennemis de l’ordre et des lois…. »

 

 

29 mars 1848

Libérez ceux de Malaunay !

Par suite des désordres de lundi soir et de la menace faite par leurs meneurs d’opérer le lendemain une expédition semblable pour la délivrance des ouvriers de la vallée de Malaunay condamnés le matin, des mesures ont été prises hier pour la réunion de la garde nationale et des troupes de ligne.

Dès onze heures, les divers bataillons ont commencé à se rassembler à leurs places d’armes respectives, et ont dirigés de forts piquets sur l’Hôtel de ville, où se sont rendues également plusieurs compagnies du 28è de ligne.

La grande cour en avant de la prison du Palais de justice a été occupée par le 6è bataillon, renforcé de 60 hommes du 28è.

Vers midi, un rassemblement venant, tambour en tête, de la vallée de Déville et de Maromme, et dans lequel se trouvaient mêlés des ouvriers, des femmes, et des enfants, s’est présenté, par la Grande Rue et la rue Thouret, aux abords du Palais de Justice. Les grilles ont été aussitôt fermée, et les chefs de la garde nationale ont déclaré à cette foule qu’elle ne pouvait essayer de pénétrer plus avant sans s’exposer à être repoussée par la force. Là-dessus, protestations qu’on n’entendait nullement se livrer à des actes de violence, mais qu’on venait intercéder pour les malheureux condamnés de la veille et solliciter leur mise en liberté provisoire, jusqu’à ce qu’il eût été statué sur l’appel de leur jugement ; qu’au surplus, une députation demandait à être introduite auprès de M. le procureur général, pour s’expliquer avec lui à cet égard.

Cette députation, composée de M. Paumier, médecin, et de deux ouvriers, a donc été conduite au cabinet de M. le procureur général, où bientôt après, est arrivé M. le délégué du Gouvernement provisoire. Là, il leur a été expliqué énergiquement par ces deux magistrats qu’il était impossible d’accéder à leur demande d’élargissement d’hommes condamnés pour des actes de violence et sur le sort desquels une juridiction supérieure aurait bientôt à se prononcer ; que la seule grâce qu’on pouvait leur accorder était de hâter autant que possible la décision de la cour d’appel, qui pourrait probablement être en mesure de statuer jeudi prochain.

Les délègues étant retournés auprès de l’attroupement, ces explications lui ont été répétées, du haut d’un balcon de la rue Thouret, par le lieutenant-colonel de la garde nationale. L’allocution s’est terminée par une injonction formelle et énergique faite à la foule de se retirer immédiatement, attendu que la force publique, rassemblée par les ordres de Deschamps et de la municipalité, ne pourrait céder à des menaces et à des manifestations tumultueuses »

 

Blanchard se livre

Le criminel épisode de la veille a même eu un commencement d’expiation. Blanchard, dont l’élargissement avait été obtenu par des moyens si condamnables, a senti tout ce qu’il y avait de compromettant pour lui, pour sa position de simple prévenu, dans le salut conquis à tel prix, et il s’est lui-même présenté au parquet pour se reconstituer prisonnier.

La police avait suivi la piste des « agitateurs intéressés au désordre et des libérés en surveillance », par suite de quoi dix-huit d’entre eux ont été arrêtés à domicile et incarcérés cette nuit.

 

Nouvelle proclamation de Deschamps

Malgré notre proclamation du 28 mars, un attroupement nombreux, parti des vallées de Maromme et de Déville, est venu jeter encore l’inquiétude dans la population de Rouen.

Nous aimons à croire que les ouvriers qui ont pris part à cette démonstration illicite ignoraient l’existence de la proclamation, non encore parvenue peut-être dans les vallées environnantes.

Aussi, d’accord avec les autorités judiciaires et militaires, n’avons-nous pas cru devoir repousser par la force une manifestation illégale dans la forme et mauvaise dans son but.

Illégale ! car une fraction de citoyens n’a point, dans un état régulier, le droit de s’organiser en troupe avec chef, tambours et drapeaux en tête, sans la permission de l’autorité.

Mauvaise ! car cette manifestation semblait avoir pour but de soumettre la justice à la menace et à l’intimidation…

Nous avons arrêté et arrêtons ce qui suit :

  1. Tous attroupements sur la voie publique, toute promenade en troupe par les rues, sont formellement interdits.
  2. Les chefs de ces attroupements, tous ceux qui marcheraient à leur côté, tous ceux qui les dirigeraient comme porteurs de drapeaux ou de tambours, ou en toute autre qualité seront, à l’instant même, mis sous la main de la justice, et poursuivis conformément aux lois.
  3. Les attroupements seront dissipés sans délai par l’emploi de la force publique
  4. Toutes réunions de citoyens ayant des réclamations à présenter à l’autorité sur des questions concernant leur intérêt ou leur droit, pourront se présenter en petit nombre aux autorités compétentes pour leur exposer leurs griefs.
  5. les dispositions du présent arrêté se combineront avec l’application des lois précédentes sur la matière, quant aux peines à prononcer contre les délinquants et quant à tous les cas non prévus.
  6. Toutes les autorités sont requises de prêter leur concours à son exécution, qui est d’ailleurs confiée au patriotisme de tous les citoyens

F. Deschamps

 

La municipalité en rajoute

« Ouvriers !

Les scènes de désordre qui viennent de se passer dans la ville affligent vivement les bons citoyens…

Le devoir des magistrats de la cité est de vous faire connaître aussi leur énergique réprobation….

Que tous le sachent bien, nous voulons l’ordre dans la liberté, et nous sommes fermement résolus à poursuivre avec toute la rigueur des lois, les perturbateurs, isolés ou réunis, qui continueraient à porter atteinte à la tranquillité publique. »

 

Le Comité central Démocratique aussi

Considérant qu’il résulte du rapport fait par la commission d’enquête que le sieur Paumier n’est pas resté étranger aux manifestations fâcheuses des 27 et 28 mars dernier, qu’il a contribué à égarer les travailleurs sur la nature et la conséquence de pareils actes, quant il devait au contraire, user de l’influence qu’il pouvait exercer pour les en empêcher,

Considérant qu’après les faits coupables qui s’étaient accomplis dans la soirée du 27, faits qui avaient encouru, l’adnimadversion  (c’est bien le terme du JDR) de tous les citoyens et le blâme énergique de l’autorité, le sieur Paumier s’est mis ostensiblement à la tête d’un attroupement qui avait pour but d’entraver le cours de la justice et l’exécution des lois ;Le Comité Central Démocratique arrête :

  1. le sieur Paumier est exclu du Comité central Démocratique dont il fait partie comme président du club de Maromme
  2. il est déclaré indigne de faire partie, à l’avenir, d’aucun club démocratique.
  3. Communication de cet arrêté sera donnée au club que présidait le sieur Paumier et à tous ceux qui relèvent du Comité Central Démocratique de Rouen, avec ordre d’en donner lecture à leurs prochaines séances.
  4. Il sera de plus transmis au commissaire général du département
  5. le Président : Durand neveu

 

31 mars 1848

Audience des troubles de Malaunay (8 mars)

Le procureur Senard déclare : en tenant audience dans la grande salle

« Nous avons voulu qu’un nombre considérable de citoyens pût venir entendre les débats de cette affaire, sur lesquels on avait trompé les ouvriers et généralement toute la population rouennaise

Nous avons voulu que les ouvriers pussent entendre ce qui s’est passé, comprendre par eux-mêmes la nécessité d’une répression sévère contre des excés qui sont de telle nature, que les premiers intérêts à eux tous, la conservation des manufactures, y étaient complètement engagés »

 

2 avril 1848

Lillebonne : le massacre.

« Nous avons à raconter des faits dont nous sommes profondément navrés. L’ordre est complètement rétabli à Rouen et dans les vallées environnantes depuis mardi dernier ; mais il vient d’être fatalement troublé à peu de distance de nous, à Lillebonne.

Au commencement du mois de mars, des désordres graves s’étaient déclarés dans cette partie du département, et avaient nécessité l’intervention de la force armée pour en arrêter le développement et en assurer la répression judiciaire.

Des arrestations furent faites, et les prévenus dirigés sur la prison du Havre.

Il s’ensuivit quelques jours de calme, qui permirent à la troupe de rentrer au chef-lieu de département.

Mais le chômage des ateliers, en amenant le désoeuvrement de la population ouvrière, donna plus de facilité aux agitateurs pour y fomenter de nouveaux éléments de discorde et d’emportement. L’orage grossissait depuis quelques jours ; il a commencé à éclater dans l’après midi de jeudi.

Une masse de tapageurs qui s’étaient recrutés de toutes parts, et en entraînant avec elle la foule ordinaire des curieux, se transporta place de la Mairie, demandant à grands cris la délivrance de ceux qui étaient détenus dans la prison du Havre.

Le maire, assisté de son conseil municipal, consentit à recevoir une députation, et il s’efforça de démontrer toute l’énormité de l’entreprise faite par cette masse, et en même temps l’impossibilité où il se trouvait de rien changer au cours naturel de la justice.

Les délégués se replièrent sur la foule, qui ne se montra rien moins que satisfaite de la réponse et se retira en vociférant des menaces. Tout annonçait de nouveaux troubles pour le lendemain. On appela donc des troupes du Havre, pour renforcer le contingent de la garde nationale de la localité.

L’attroupement se reforma le vendredi, mais manifestant d’abord un nouveau caractère. Un arbre était apporté au milieu du rassemblement des plus confus et des plus désordonnés. C’était l’arbre de la Liberté, qu’on voulait inaugurer et planter avec l’appareil de ce qui est le plus antipathique à la Liberté, c'est-à-dire avec le cortège de l’insurrection et de la violence.

Dès le signal de cette triste et fatale équipée, la ligne et la garde nationale avaient été appelés et s’étaient rangés devant l’Hôtel de Ville.

Le maire et le conseil municipal descendirent sur la place et essayèrent de faire rentrer dans le devoir cette foule égarée…

Ayant épuisé les voies de la conciliation, le maire commanda alors, au nom de la loi, à l’attroupement de se disperser. Les sommations légales avaient été faites, la ligne et la garde nationale s’avancèrent pour prêter force à l’autorité de la loi.

Elles furent accueillies par une grêle de pierres qui blessèrent plusieurs personnes dans les rangs de la ligne et de la garde nationale. Une grande partie de l’attroupement avait fui devant les sommations et devant les démonstrations jusque là inoffensives de la troupe. Enfin, deux coups de feu partis de deux points du groupe annoncèrent des projets acharnés de résistance.

Une décharge riposta des rangs de la garde nationale et de la ligne.

Il y avait sang et mort. Les balles avaient tué deux femmes, quatre hommes, fait une quinzaine de blessés, dont un a succombé hier matin.

La résistance n’a pas été plus longue…

Puisse-t-il du moins ressortir de ce premier et si pénible sacrifice accompli dans l’intérêt de l’ordre, qui est indispensable au salut général de la société, un enseignement pour tout le monde aussi ! »

 

 

 

Deschamps couvre

« Des actes blâmables dans leur principe et bien déplorables dans leurs résultats viennent d’affliger Lillebonne et tout le département. La force armée s’est trouvée placée dans la plus terrible des nécessités.

C’est avec stupeur que nous avons vu une partie de la population ouvrière de Lillebonne, malgré les avertissements de ses magistrats, malgré le respect que tout citoyens doit à la loi, courir au-devant d’inutiles dangers.

Nous n’aurons jamais assez de haines contre les excitateurs des désordres qui amènent de si cruelles extrémités, assez de larmes pour les ouvriers égarés qui en ont été les victimes qui en ont été victimes…

Là où quelques citoyens pourraient arracher par la violence et imposer par la crainte des concessions aux pouvoirs qui les régissent, il n’y aurait que confusion et anarchie ; car chacun, à son tour, croirait pouvoir exercer une domination injuste, et la République ne serait plus que la réunion d’une foule de tyrannies.

Ouvriers, vous êtes à la veille d’un grand jour. Pour la première fois, vous allez vivre de la vie politique, vous allez élire vos représentants. C’est un acte solennel et digne. Voudriez-vous y préluder par la violence ?...

La République vous rendra bientôt, en bien-être matériel et en dignité morale ce que vous avez donné de force et de grandeur, en respectant ses agents, sa justice ses lois. »

F. Deschamps

 

 

Les troupes arrivent

« Un bataillon du 4è léger, parti hier de Versailles et fort de 500 hommes, est arrivé hier matin, par un convoi spécial de chemin de fer, pour tenir garnison à Rouen et dans le département.

Un détachement de 25 hommes du 7è de dragons est arrivé également et sera suivi, aujourd’hui, du restant d’un escadron du même régiment. »

 

3 avril 1848

La version des militaires à Lillebonne

« Il parait constant que la troupe de ligne et la garde nationale n’ont employé la force qu’après des sommations sept fois répétées, qu’après des provocations de toutes sortes, les plus déplorables agressions et lorsqu’enfin apparaissaient pour elles la nécessité de la légitime défense.

Il n’est que trop vrai qu’une grêle de pierres a été lancée sur la force armée et a occasionné a beaucoup de citoyens des blessures constatées, et que le capitaine de la ligne fut atteint à la tête par une lourde pierre qui lui brisa plusieurs dents et le renversa.

Au même moment, deux coups de feu étant partis de l’attroupement, le soldat le plus voisin du capitaine crut qu’il était atteint par une balle et riposta par un coup de feu. Ce fut le signal d’une décharge à volonté partant de la première ligne du front de la troupe, et dont tous les chefs et les magistrats municipaux s’employèrent aussitôt à arrêter le développement en relevant les armes. Il est certain que beaucoup de coups ont été tirés en l’ai, ainsi que l’atteste la hauteur des traces de balles qui se remarquent sur les maisons.

Mais l’effet de la première fusillade avait été meurtrier. Trente cinq personnes avaient été atteintes par les balles, six mortellement sur le coup. Un des blessés a succombé la nuit suivante, et un autre hier matin.

Du côté de la force armée, il n’y a eu que des blessures occasionnées par le jet de pierres. Les deux coups de feu tirés du côté des assaillants ont eu pour résultat, l’un de couper en deux le bois du fusil d’un soldat, et l’autre de traverser d’une balle la casquette d’un garde national.

Hier, pendant la journée, a été faite l’inhumation des victimes de cette fatale catastrophe, au milieu du calme le plus religieux. Au nombre de ceux qui ont péri se trouvent le porteur du drapeau et le porteur de l’arbre…

Que la classe bourgeoise s’en pénètre bien, et ne se laisse pas trop influencer par l’impatience de qu’il doit y avoir nécessairement de confus et d’anormal dans les premières aspirations à la liberté d’une classe qui en a été séculairement déshéritée. Mais que les ouvriers se persuadent bien aussi qu’il n’y a pas de liberté possible sans l’ordre ; car sans l’ordre point de confiance, de crédit et de travail, et sans le travail la liberté politique ne serait plus pour tous que la liberté de mourir de faim ».

 

Des armes pour les ouvriers de la garde nationale

Comme on l’a vu plus haut la garde nationale s’est ouverte et les recrues sont nombreuses. « Les demandes d’armement affluent donc aux chefs de la garde nationale et à l’autorité municipale » mais « la mairie de Rouen ne possédait que 7 à 800 fusils »…d’où des réclamations, et même une certaine agitation parmi les recrues.

 

4 avril 1848

M. Paumier répond au Comité Démocratique

Dans un courrier adressé « Aux travailleurs de la vallée de Maromme » et publié sur son insistance par le journal de Rouen, M. Paumier répond :

« Je suis exclu du Comité central Démocratique. Si ma présence était nuisible au triomphe de notre juste cause, il a bien fait. Mais un autre motif anime les délibérants

Vous savez si jamais je vous ai excités à faire autre chose que de continuer à travailler.

Ils ont dit que lundi, dans la soirée, j’étais avec des individus qui ont forcé la prison de Bicêtre.

Vous savez que j’étais au milieu de vous, à Maromme, au club et que nous cherchions tous les moyens possible et légaux pour obtenir la liberté provisoire des ouvriers condamnés dans l’affaire Lemoine, en nous appuyant du décret du Gouvernement provisoire qui modifie le texte par rapport à la prison préventive.

Nous venions, avec l’exploit d’appel, demander nos frères, avec promesse de leur part de revenir au jour indiqué pour l’audience.

Je pensais que ce décret leur était applicable, mais j’ai vu que non, puisqu’on nous les a refusés.

Quelle était la consigne pour tous ? C’était de marcher en silence, sans proférer une seule parole ni fredonner le moindre chant, afin de n’effrayer personne. En allant comme en revenant, vous m’avez promis l’ordre et la paix : vous avez tenu vos engagements et aux menaces inutiles tendant à faire répandre votre sang, vous avez répondu : « Frappez !!! » Si nous sommes coupable d’une mauvaise action, était-ce le meilleur moyen d’arrêter l’ardeur belliqueuse de nos frères armés, mal instruits et mal dirigés ?

Honte à ceux qui les ont poussé à ces excès déplorables, bien qu’ils aient été sans funestes conséquences !

Comment le président du Comité central a-t-il pu signer une pareille délibération, puisque les clubs sont des réunions de citoyens libres, mais sans que leurs décisions puissent être rendues publiques par la voie des journaux, lorsqu’elles portent atteinte à l’avenir politique et peut-être à la sécurité personnelle d’un citoyen quelconque ?

La calomnie n’est pas dans le dictionnaire des démocrates.

Je pars pour Paris, pour revenir bientôt nous entendre pour les élections. Nous nous appliquerons à ne pas admettre sur notre liste ces citoyens …qui ne veulent que des places.

Soyez toujours assidus à vos ateliers, souffrez encore s’il le faut : patience ! Une République est trop précieuse pour la marchander.

 

5 avril 1848

Alerte à Darnétal

Hier dans l’après midi, l’autorité a été prévenue qu’une certaine agitation régnait parmi les ouvriers de Darnétal, qui stationnaient par groupes animés que la place de m’Hôtel de ville. Un détachement de cavalerie a aussitôt été envoyé. Il est rentré vers 9 heures du soir, sans avoir eu à réprimer d’actes répréhensibles.

 

Le calme à Lillebonne

Des mesures sont prises pour soulager les familles frappées dans leurs affections et dans leur moyen d’existence. Le conseil municipal a voté un secours provisoire de 300 frs et un impôt de 10 centimes par franc ;

La population ouvrière, sans doute, comprendra aussi ses devoirs. Qu’elle renonce, pour obtenir des augmentations de salaires, à ces manifestations hostiles, à ces démonstrations menaçantes et agressives qui, en la plaçant dans son tort et en lui donnant l’attitude de l’illégalité et de la révolte, tendraient à la dépouiller de cet intérêt dont elle est unanimement entourée.

 

On juge au Havre

On lit dans le Courrier du Havre que les perturbateurs des premiers troubles de Lillebonne, ceux que la foule voulait faire libérer passent en jugement. Cela a donné lieu à un grand déploiement de forces.

11 accusés, dont une femme figurent sur les bancs de la police correctionnelle, prévenus de coalition pour faire cesser les travaux chez les fabricants de Lillebonne, le 1er mars dernier, et pour faire augmenter le prix des salaires.

Douze témoins sont entendus et confirment les faits reprochés : des fabricants ont été arrachés de leur domicile, traînés dans les rues, couverts de boue ; des menaces de mort ont été proférées.

Le procureur insiste particulièrement sur l’attitude de la femme Acher, qui, par ses paroles provocantes et ses violences, a été un des meneurs les plus actifs du désordre.

Le défenseur des ouvriers se livre à la discussion de quelques idées générales sur la condition des ouvriers.

Les dénommés Angamare et Fouache sont acquittés.

La femme Acher est condamnée à 4 mois de prison.

Acher, Duchène, Graindel à 2 mois.

Vigreux et Tennier à 1 mois.

Talbot à 15 jours, Billard à 8, Pressoir à 6 et tous aux dépens.

 

Ça a bien chauffé à Brionne

Après une polémique entre les différents journaux rouennais, le 8 avril , les faits suivants sont établis :

Les ouvriers de Brionne, ne pouvant obtenir des maitres filateurs l’exécution du décret du Gouvernement provisoire, apprirent que MM. Duboc frères, de Launay, Bjard, Sément de Serquigny ; Deray de Nassandres, et plusieurs filateurs de Bernay, s’étaient empressés de faire droit aux justes réclamations de leurs ouvriers. Ils se rendirent d’abord à Nassandres, ensuite à Launay, puis à Serquigny. Là tous réunis, ils marchèrent avec calme vers Bernay, joints par les ouvriers de cette ville. Ils furent reçus par les autorités du Gouvernement, qui leur proposa même des billets de logement,ce qui fut refusé. Tous se dispersèrent pour rentrer chez eux, mais avec promesse que, le lendemain, à midi, une réunion générale aurait lieu sur la place publique de Brionne, pour engager les filateurs, qui seuls se montraient récalcitrants, à ce conformer à la décision des autres filateurs.

A midi, 2000 hommes, femmes et enfants, étaient rangés avec ordre sur la place de Brionne. Des délégués furent envoyés auprès des usiniers, qui, après des réticences inexplicables, vinrent enfin, accompagnés du maire et du conseil municipal, au milieu des ouvriers. Les pourparlers commencèrent. Une demi-heure après, les usiniers de Brionne avaient accepté les conditions des autres filatures, et tout était terminé.

Quant au citoyen Quillou fils, comme il avait renvoyé 14 de ses ouvriers, ils vinrent prier ceux des autres localités de se joindre à eux pour demander la suppression d’une carde anglaise, qu’ils disaient être la cause de leur renvoi. Après discussion M. Quillou s’engagea à la supprimer. Quelques cris de « A bas la carde » se firent entendre.

 

8 avril 1848

Comité Central Démocratique Séance du 7 avril : exclusion des communistes

« Depuis quelques jours, des bruits fâcheux pour la cause démocratique ont été répandus dans notre contrée : des personnes intéressées sans doute à calomnier les tendances de ce parti, l’ont accusé de communisme, ainsi que tous les clubs qui marchent sous sa bannière.

Pour faire qu’aucun motif d’accusation ne puisse plus exister à cet égard, le Comité central Démocratique a proposé, que les citoyens qui appartiennent à l’opinion communiste, et qui, sans arrière pensée, avaient prêté leur loyal concours à l’établissement de la République en s’adjoignant à ce comité, soient priés de renoncer à en faire partie. Ces citoyens, voulant avant tout, le succès de la démocratie, et comprenant qu’ils pourraient être un obstacle au triomphe de ce principe, ont immédiatement résilié le titre de membres du Comité central Démocratique

Signé Durand neveu président.

 

Une réponse le lendemain :

« Pour répondre à la lettre du président du Club central Démocratique que vous avez inséré hier, nous déclarons que ce n’est pas le motif signalé qui nous a déterminés à nous retirer, puisque nous ne sommes pas communistes ; mais nous n’avons pas voulu participer à un acte de proscription, attendu que les communistes se sont ralliés franchement au progrès présent, qui consiste à défendre la Révolution dans toutes ses tendances

E. Beaufour ; Gruel

 

12 avril 1848

Une quarantaine d’hommes appartenant au bataillon de la garde mobile ont tenté d’interrompre une réunion du Comité central Républicain dans leur local, au 1 rue des Arsins. Les participants à la réunion au nombre d’une centaine se saisirent des 6 premiers qui donnaient l’assaut, puis refermèrent la porte. D’autres membres étaient allés prévenir la garde nationale à l’Hôtel de ville, qui aida à mettre en échec cette tentative.

 

20 avril 1848

Sur les chantiers municipaux de Rouen « il y a plus de 14000 ouvriers inscrits et touchant la paie ; il y en a pas 4000 qui soient consacrés à leur véritable destination. Le reste est groupé, pendant le jour, sur un terrain situé derrière le Cimetière monumental, et ils écoutent les prédications que du haut d’une tribune leur débitent les plus fanatiques orateurs. C’est un club, en plein vent où règne, nous ne dirons pas la liberté, mais la licence.

C’est de là que sont parties pendant quelque temps les processions autour et au travers de la ville, qui y jetaient l’effroi. »

 

24 avril 1848

 

Elections

Hier à Grand Couronne, un contremaître de filature de Sotteville, qui s’était chargé de porter au chef lieu du canton une certaine quantité d’exemplaire d’une liste autre que la bienheureuse liste Durand, a été assailli par une vingtaine de mauvais gars, qui lui ont arraché et lacéré son paquet, et l’ont personnellement maltraité.

On nous dit aussi qu’à Maromme, quand les électeurs de la commune de Pissy Poville se sont présentés pour voter, 200 féroces avaient voulu leur arracher leurs bulletins et les forcer à voter pour la liste démocratique ; mais comme les attaqués étaient 250 solides, conduits par leur maire en écharpe, ils ont menacé les assaillants de répondre à leurs arguments frappants

A Louviers, M Henri Lhuillier, suppléant du juge de pais, avait, en cette qualité, reçu mission de présider une des sections électorales. Des bruits, qui ne reposaient sur rien de réel, avaient présenté M. Lhuillier comme un meneur électoral, et surtout comme un homme ennemi des ouvriers, et qui voulait faire réussir des candidats que l’on prétendait hostile à la cause du Peuple.

Vers deux heures après midi, une foule tumultueuse envahit la salle de la mairie, où l’on procédait aux élections. Des menaces furent adressées à ce citoyen. Il dut se résigner, sur la demande même du commissaire du Gouvernement et des membres du bureau, à céder. Mais cette satisfaction donnée aux trublions ne parvint pas à les apaiser. A peine sorti dans la rue M. Lhuillier se vit entouré d’une multitude furieuse qui proférait d’horribles menaces ».

 

28 avril 1848

L’insurrection

Une inqualifiable agression, prenant les proportions de l’insurrection, est venue hier mettre en péril la sécurité de tous, et a nécessité le déploiement de toute la force armée  dont notre ville peut disposer, tant en gardes nationaux qu’en troupes de ligne.

Dès le matin, beaucoup d’agitation se faisait remarquer sur la place Saint-Ouen parmi les groupes qui y stationnaient. Dans ces groupes se tenaient des propos d’hostilité et des projets de vengeance contre la classe bourgeoise, personnifiée dans la garde nationale.

Dans l’après midi, un groupe de très jeunes gens affectait de traverser la place Saint-ouen dans toutes les directions, s’approchant des lignes de gardes nationaux qui occupaient le poste, soit le péristyle de l’Hôtel de Ville, et les narguait par des propos plus ou moins blessants. Il semblait que ces malheureux enfants étaient lancés en enfants perdus, comme pour exciter la garde nationale à s’irriter contre eux et à prendre de là ptétexte pour donner suite à quelque plan de révolte arrêté et étudié d’avance.

L’évènement l’a bien prouvé ; car vers les cinq heures et demie, le groupe d’enfants s’étant montré plus provocateur encore, et l’un d’eux, qui portait un drapeau, se distinguant entre tous par ses impertinences, les gardes nationaux l’empoignèrent pour le mettre en sûreté entre les mains de la police. Aussitôt les autres se répandirent de tous côtés, criant que les gardes nationaux les avaient maltraités. On s’est mis à propager, dans le même moment, que des coups de feu, sans sommation, avaient été tirés sur le peuple. C’était faux, il y avait eu effectivement deux coups partis dans l’après midi : l’un, d’un fusil, qui était au repos et debout dans la galerie intérieure de l’Hôtel de Ville ; il n’avait atteint personne, mais ce coup avertit les gardes nationaux de l’imprudence qu’il y avait à conserver quelques fusils chargés pour une cause ou une autre dans les expéditions précédentes ; et un seul autre fusil ayant été reconnu pour être chargé aussi, on s’empressa de l’aller décharger dans le jardin Saint-Ouen contre un mur. Voilà tout.

Cependant les vociférations des enfants furent accueillies avec avidité par les meneurs qui faisaient mouvoir tous les autres groupes de la place, et qui se mirent à courir de tous côtés en criant :Aux armes ! On assassine nos frères !

Au même moment, une patrouille de gardes nationaux, arrivant auprès de la place Saint-Ouen, fut accueillie par une bande qui entreprit de la désarmer. Elle se défendit comme elle put de cette agression, ne faisant usage que du croisement des baïonnettes. Quelques gardes nationaux furent désarmés, mais la petite troupe put se replier vers le poste de l’Hôtel de Ville La place était envahie de plus en plus par des groupes, il était évident qu’un coup de main s’apprêtait de ce côté. Effectivement, une grêle de pierres, commença à pleuvoir sur la force armée qui y était stationnée.

Un piquet de dragons et quelques gardes nationaux à cheval qui étaient là de service furent immédiatement employés à une charge à fond pour repousser la foule et dégager la place. Cette opération eut un plein succès. Mais les groupes et les meneurs se replièrent dans toutes les rues adjacentes et entreprirent de dresser des barricades nombreuses, ce qui fut exécuté en un clin d’œil, tandis que de tous côtés, les bons citoyens courraient pour aller revêtir leur uniforme, avertir leurs voisins du péril que courait l’ordre, et que des ordres étaient expédiés vers les casernes pour mettre sur pied la ligne.

Les barricades ayant été dressées seulement dans la partie est de la ville, la partie ouest est restée libre pour permettre l’agglomération de toutes les forces disponibles, pour les diriger ensuite sur les positions prises par les révoltés Tout le long de la rue de la République et au débouché de toutes les rues qui y ont accès, des barricades étaient érigées.

Une compagnie de grenadiers partie du pont de Pierre Corneille, s’étant grossie en route de cinquante à soixante gardes nationaux, avec leurs officiers, a attaqué ces barricades à la baïonnette, les a enlevées et s’est occupée de faire déblayer la voie de tous les tessons de bouteilles qui y étaient répandus, et bientôt la circulation a été libre dans toute la longueur de la rue, grâce à de nouveaux renforts de troupes de ligne et de gardes nationaux mélangés, car c’est ainsi que les deux armes ont été constamment associées pendant les opérations de cette fatale soirée.

Mais quatre barricades avaient été élevées au débouché de la place de Robec. L’une d’elles, formidablement dressée, faisait face à la rue de la Chaîne. Sur le sommet de cette barricade, se tenait un homme portant un drapeau, et du parapet de la barricade s’allongeaient des fusils.

Le détachement qui s’avançait de la rue de la Chaîne vers cette barricade pour l’enlever, comme les autres, seulement à la baïonnette, ne tarda pas à reconnaître qu’il allait avoir affaire à plus forte partie. Il n’était pas au milieu de sa marche, qu’il était assailli par une grêle de pierres, et même plusieurs coups de feu. Il était dans le cas de légitime défense ; il riposta par une première décharge qui porta haut. Les révoltés ne se déconcertant pas et continuant de tirer, une deuzième décharge fut plus meurtrière : plusieurs hommes de la barricade y ont été tués ou bléssés. Il était alors six heures et demie.

La barricade du côté de la rue Eau de Robec a ensuite été enlevée et détruite sans avoir été défendue, on a également détruit les trois autres, et l’on a transporté les bléssés à l’Hôtel de Ville.

La place de Robec a été occupée toute la soirée par la garde nationale et la ligne. Mais aucune attaque n’a été suivie de ce côté.

Trois fortes barricades avaient été formées aussi sur la rue de Robec, au débouché de la rue du Ruissel et de la rue du Pont de l’Arquet. Elles ont été successivement attaquées du côté de la rue Eau de Robec et de la rue des Faux. Mais, comme il y régnait une obscurité complète, on a dû attendre, pour les enlever et les détruire, que des torches fussent envoyées. Un homme placé en sentinelle avancée a été tué d’un coup de baïonnette. Un autre est tombé sous la fusillade sur la barricade même. Quand on a eu détruit la barricade, on n’a pas trouvé leurs corps.

Vers onze heures, une attaque a été faite sur le poste stationné aux coins des rues Damiette et Martainville, et a provoqué une fusillade qui parait n’avoir atteint personne. Mais un soldat de ligne a été bléssé d’une balle partie du côté des révoltés et qui lui a traversé la cuisse.

Vers neuf heures et demie, on avait entendu des feux de peleton dans la direction de Bicêtre. Nous avons été dans l’impossibilité de vérifier quels en avaient pu être les résultats.

Il parait positif que des barricades ont été dressées aussi et gardées en forces à la porte Guillaume Lion, à la Croix de Pierre et du côté du faubourg Saint-Hilaire.

A une heure et même à deux heures du matin, la force publique s’employait aussi bravement à contenir toutes les agressions qui auraient essayé de franchir ces points ; mais on a dû attendre au jour pour opérer plus efficacement, parce que dans tous ces quartiers les réverbères s’étaient brisés et éteints, et qu’il était impossible d’agir en connaissance exacte des choses.

La plus grande partie de la ligne et de la garde nationale a occupé pendant toute la nuit toutes les grandes artères de circulation, se relayant par intervalles pour permettre à chacun quelques instants de répit et de repos. Dès le point du jour, toutes les forces seront sur pied, résolues à terminer, par l’ensemble de leur action, cette criminelle insurrection dont les éléments, nous l’espérons bien, sont aussi restreints qu’ils ont été perfides et audacieux dans l’infernale surprise qu’ils avaient tendue à notre population.

Aussitôt que le conflit a été engagé, M. le commissaire général du Gouvernement s’est transporté à l’Hôtel de Ville, pour y concerter les moyens de défense et de répression avec les membres de l’autorité municipale, et les commandants supérieurs de l’armée et de la garde nationale. M. Senard, reprenant d’urgence ses fonctions de procureur général, n’étant pas encore remplacé, s’était immédiatement rendu aussi à l’Hôtel de Ville avec tous les officiers du parquet présents à Rouen. Ils y ont passé toute la nuit à interroger sommairement tous ceux qui pouvaient avoir des renseignements à donner sur les ramifications du complot, sur les propos accusateurs tenus ça et là, et à interroger les individus arrêtés, soit les armes à la main, soit munis d’instruments offensifs ou de pierres, soit pris en flagrant délit d’insulte et de provocation contre les défenseurs de l’ordre, si cruellement compromis.

Parmi les arrêtés ou les blessés, on a reconnu des forçats libérés.

D’autres arrestations ont été effectuées aussi à l’égard de gens n’appartenant point à la classe ouvrière, et sur lesquels de graves indices font peser le soupçon d’une infâme collision

Quoi qu’il en soit, l’instruction qui se poursuit avec toute l’activité nécessaire, mettra l’autorité judiciaire à même de saisir tous les fils de ce complot aussi insensé que criminel…

 

 

Proclamation de Deschamps

A qui dois-je adresser cette proclamation ? Quels sont les meneurs coupables, ou quels sont les malheureux égarés qui sont venus répandre, dans une cité renommée par son calme, la désolation et le deuil.

D’après des indices certains, au premier rang de l’émeute se trouvaient des repris de justice, ces hommes que la loi déshérite de tout droit politique, et qui ont voulu profiter de la fermentation électorale pour satisfaire leurs instincts coupables.

Comment se pourrait-il, en effet, que sans un but avouable, sans un résultat possible, d’honnêtes travailleurs se soient exposés à donner la mort ou la recevoir de leurs frères de la milice citoyenne, dont ils font partie, et de l’armée, qui est aussi le Peuple ? S’il y a des jours, où l’insurrection devient un devoir, c’est lorsque, par l’un des mouvements d’ensemble qui révèlent la volonté générale, toute la partie active d’une nation se relève du joug qui l’opprimait et se donne, avec cette unanimité qui fait la force, un gouvernement nouveau. Mais une action isolée, locale, sans but, sans autre résultat qu’un sanglant échange de coups mortels, ce n’est pas de la révolution, c’est de l’émeute ; c’est de l’émeute sanglante et coupable…

 

 

Le 29 avril 1848

2è jour d’insurrection à Rouen

Dans la nuit, comme nous l’avons dit, des barricades formidables avaient été élevées entre la rue Martainville et les rues adjacentes au clos Saint Marc. Le rappel avait été battu dès cinq heures du matin ; de sorte qu’à sept heures le général de division avait à sa disposition toutes les forces d’attaque, et que l’ordre a pu être donné d’enlever toutes les barricades.

Elles ont été attaquées des 2 côtés de la rue de Martainville et par les autres rues aboutissant au clos St Marc. L’une d’elles, la plus formidable de toutes, formée toute en pavés de grés et surmontées d’un drapeau, a été investie du côté de la porte Guillaume-Lion. Sur ce point on avait dirigé deux pièces de canon, avec une escorte suffisante d’infanterie et de cavalerie tant de la ligne que de la garde nationale.

Bien qu’il y eut agression flagrante, puisque des pavés et des coups de feu étaient lancés sur la force publique, des maisons où les insurgés s’étaient retranchés derrière la barricade, on crut devoir, par excès de longanimité, procéder à la formalité des sommations légales. Rien de plus solennel en ce moment que ce roulement de tambour et cette voix de la loi interpellant ces malheureux égarés, pour prévenir l’effusion de sang. Les sommations n’ayant pas eu d’efficacité, le feu a été ouvert par le canon tirant à boulets.

Après huit coups, la barricade était démantelée ; mais le coup le plus décisif avait été porté contre la façade de la maison latérale, d’où les projectiles étaient lancés avec le plus de continuité.

C’est alors que les insurgés ont demandé à parlementer, déclarant que si on voulait les épargner, ils étaient prêts à défaire et à déblayer eux-mêmes la barricade, ce qui a été accepté et effectué immédiatement avec loyauté ; part suite de quoi il n’y eu aucune arrestation faite, et l’on n’a constaté, du côté des insurgés, qu’une blessure faite à un homme par un éclat de bois, lorsqu’un boulet avait porté dans la maison.

Mais du côté de la rue Martainville, la résistance a été plus opiniâtre et l’attaque a été plus meurtrière. La fusillade s’est prolongée pendant près d’une heure. Les troupes et la garde nationale ont été assaillies d’une grêle de pierres.

Enfin, vers huit heures et demie, les insurgés ont déclaré se soumettre sans condition, et ont promis qu’ils allaient eux-mêmes travailler à détruire les barricades.

Ils ont renouvelé cette déclaration entre les mains du général Gérard et des chefs des divers détachements, et chacun paraissant des deux côtés déplorer avec amertume la funeste collision de la veille et du matin. On s’est serré la main, et les détachements militaires se sont retirés.

M. Deschamps, commissaire du Gouvernement et M. Leballeur, maire provisoire de Rouen, ont parcouru les rues Martainville, et du Ruissel en faisant entendre des paroles de paix et de conciliation.

Mais à peine étaient-ils partis qu’une nouvelle et déplorable collision a commencé. Des pierres ont été jetées et des coups de feu tirés, assure-t-on, sur l’escorte d’un commissaire de police qui venait faire une enquête relative aux évènements de la veille et du matin. Force a été aux troupes de riposter, et le feu s’est prolongé longtemps, tout autant que les barricades se renouvelaient. Car, pendant la journée, les barricades ont été essayées plusieurs fois dans les quartiers Martainville et St Hilaire, et même sur les boulevards Saint Hilaire et Martainville, et l’on n’est venu à bout de toutes qu’alors qu’on a pu les contourner de ce dernier côté, et par là envelopper ou disperser les insurgés dans toutes les directions.

Au boulevard Saint-Hilaire, deux fortes barricades avaient été formées avec les beaux et vigoureux arbres de ce quartier sciés au pied. Mais les communications ont été rétablies et maintenues, grâce à de fortes patrouilles de cavalerie et d’infanterie qui se succédaient rapidement. La première dirigée sur le point menacé vers midi, était parvenue à déblayer la place Saint-Hilaire, et alors la cavalerie s’était mise à pourchasser une partie des insurgés jusqu’au pont de chemin de fer de la route de Darnétal. Mais avertie que les barricades se reformaient derrière elle, elle rebroussa vivement chemin et courut à fond de train sur le groupe qui travaillait au rétablissement des barricades. Dans cette charge, trois hommes ont été atteints de coups de sabre et sont resté sur place. Un fort détachement d’infanterie ayant été laissé pour garder le boulevard, la cavalerie s’était engagée dans la rue Saint-Hilaire et a efficacement secondé les opérations dirigées de front contre les barricades de ce quartier, en prenant les insurgés au revers.

Mais si l’insurrection, comme nous l’avons dit hier avait enregistré son quartier général dans toute la partie est de la ville, le quartier de la rive gauche avait organisé aussi sa diversion. Dès le matin, l’ordre était violemment troublé à Saint Sever. Une très forte barricade a été formée à la barrière de la rue Saint Julien et a été occupée par une multitude d’hommes dont une partie était armée. Plusieurs gardes nationaux qui se rendaient à l’appel du tambour isolément, ont été désarmés, et l’on est entré de force dans les maisons les plus voisines, tant en de ça qu’au-delà, pour en enlever les armes.

La barricade était formée d’arbres et de forts madriers hermétiquement calfeutrés de monceaux de pavés. On fût obligé de diriger de ce côté une importante expédition de cavalerie et d’artillerie. Après plusieurs heures de longanimité de la part de l’autorité militaire, pendant lesquelles les insurgés ont presque constamment lancé contre les assaillants des coups de feu qui heureusement ne portaient pas, la barricade a été attaquée à coups de canon à boulet seulement, et après seize coups qui l’avaient vigoureusement entamée sans l’abattre, escaladée par les grenadiers et les gardes nationaux, qui ont essuyé le feu des insurgés et ont eu trois blessés parmi les grenadiers, dont un dangereusement, dit-on.

La place prise, les insurgés se sont mis à fuir à travers la plaine, et ont pu esquiver, par la rapidité de la course, les atteintes des balles qu’on leur a lancées. Mais la réussite de l’opération a eu une double fin : elle a permis à l’infanterie, qui avait traversé les débris de la barricade de la rue St julien, de prendre au revers les défenseurs d’une autre barricade formée de gros arbres enlacés et élevée à l’extrémité de la rue d’Elbeuf. Cette même barricade étant attaquée aussi de front par un autre détachement, le gros des insurgés n’a eu qu’à faire diligence pour se soustraire à travers champs à la répression de leurs assaillants.

Un de ceux qui avaient élevé cette barricade a été tué. On a trouvé sur lui des cartouches, de la poudre et un poignard fait au moyen d’une lime emmanchée et aiguisée. Un autre individu appartenant au groupe de la barricade St Julien a été abattu d’un coup de feu, dans le cimetière latéral à la rue, parmi plusieurs autres individus qui s’y étaient retranchés pour inquiéter la marche de la force publique. Ce sont là les deux seules victimes expiatoires qu’a coûtées cette expédition qui, pour le reste de la soirée et de la nuit, a assuré dans ce quartier le retour de l’ordre.

Vers deux heures et demie, deux pièces de canon avaient été dirigées vers l’avenue du Mont Riboudet, sur l’annonce d’une invasion d’ouvriers qui devait venir de ce côté. Mais il n’a pas été nécessaire d’en faire usage, les populations de la vallée étant restées calmes.

Dans le reste de l’après midi, aucune tentative grave n’a nécessité de nouveau l’emploi de la force publique dans la région de Martainville et Saint-Hilaire ; mais beaucoup d’agitation a continué de s’y manifester, et n’a été contenue qu’à l’aide de fréquentes patrouilles. L’une d’elles, très faible en nombre a reçu, partant des fenêtres de la rue Martainville, des coups de feu mal ajustés auxquels elle a répondu par une décharge qui a fait, dit-on, 2 victimes.

Les maisons n’ont été illuminées que d’une illumination de deuil, pour aider à la surveillance des citoyens armés et des soldats de la ligne «échelonnés le long des artères de communication, et assurer la sécurité douteuse des passants isolés.

Une telle situation ne saurait évidemment se prolonger indéfiniment, mais combien durera-t-elle encore ? Pourquoi cette soudaine violence, et à quel propos ? Quel droit politique la classe ouvrière avait-elle à conquérir, qui ne lui soit irrévocablement assuré par le triomphe de la République ? Oh ! ils ont bien absurdement criminels ceux qui ont fomenté en elle ces éléments rétrospectifs de haine et de vengeance, pour faire mentir si cruellement parmi nous la sainte devise de liberté, d’égalité et de fraternité, que la Révolution de Février avait si glorieusement inaugurée !

 

Bilan chiffré

Le nombre des morts dans les deux journées est évalué à 22. Le chiffre des blessés, il est presque impossible de le déterminer, non pas en ce qu’il puisse être innombrable, mais en raison de l’intérêt que les insurgés ont eu à ne pas se livrer quand l’état de leurs blessures a pu leur permettre de se dissimuler.

Le 27 avril on avait arrêté 126 individus ; le 28, hier, on en a arrêté 118.

 

Répression et règlements de compte

M. Naquet, ancien rédacteur de la Sentinelle Normande, et plus récemment fondateur du Contrat Social, pour les besoins du régime nouveau, est au nombre de ceux dont on a opéré l’arrestation dès jeudi soir, en raison de quelques propos qui trahissaient sa sympathie pour les insurgés.

Une arrestation d’un caractère beaucoup plus grave a été effectuée dans la journée d’hier : c’est celle de M. Durand neveu…aussi nous ne saurions nous passer condamnation sur les vociférations injurieuses qui l’ont assailli à son arrivée à l’Hôtel de Ville, alors qu’il était encadré d’une escorte….

Une autre démonstration, plus regrettable encore, est celle dont M. Lemasson, le premier adjoint, a été l’objet le matin. Quelques gardes nationaux non seulement l’ont apostrophé dans les termes les plus injurieux, mais encore l’ont appréhendé au corps pour le sommer de se démettre. Il n’a dû sa délivrance qu’aux obsessions les plus énergiques de M. le procureur général, et sur l’engagement sur l’honneur pris par lui de na pas perdre M. Lemasson de vue jusqu’au jour où l’on aura pu vérifier les soupçons de connivence avec M. Durand que l’on fait peser sur lui…

Nous comprenons toute l’indignation de la garde nationale à l’encontre de ceux qui ont été réellement les fauteurs de l’agitation funeste dont nous recueillons aujourd’hui les tristes et sanglantes conséquences.

Mais, sur de simples soupçons, condamner et assaillir ! n’est-ce pas tomber soi-même dans le tort des hommes égarés dont on a  la triste mission, en ce moment même, d’arrêter et de réprimer les aveugles violences ?

 

Pleins pouvoirs à l’armée

La ville n’a point été mise en état de siège, comme on l’a dit. On a seulement déclaré hier l’état de guerre, c’est-à-dire que plein pouvoir a été donné au commandement de la division, pour l’emploi de tous les moyens militaires propres à assurer efficacement le rétablissement de l’ordre.

 

A Elbeuf

Des troubles ont aussi éclaté hier à Elbeuf, de la part des ouvriers. Ils ont formé des barricades. Nous manquons de renseignements précis. Des renforts et des munitions ont été demandés à Rouen ; ils ont dû être expédiés cette nuit. L’ordre a aussi été envoyé à Tourville d’acheminer immédiatement sur Elbeuf deux compagnies du 52è de ligne, qui a été demandé au Gouvernement pour renfort de la garnison de Rouen, et qui doit prendre la voie ferrée pour arriver plus vite à sa destination.

 

30 avril 1848

Notre récit s’arrêtait hier …des arrestations assez nombreuses, comme nous l’avons dit, ont été faites dans la journée d’hier. Divers mandats d’arrêt ont en outre été remis aux agents chargés de les exécuter.

Les agents de la justice se sont livrés aussi, dans plusieurs rues et dans des maisons suspectes, à des investigations qui ont amené la saisie d’armes de diverses sortes.

Beaucoup des individus en ce moment détenus ont été arrêtés en flagrant délit d’insurrection, et porteurs de fusils ou chargés ou nouvellement déchargés, de pistolets, de poudre et de balles ou de cartouches toutes faites, de sabres, et plusieurs d’armes très dangereuses, telles des poignards de combat de très grande dimension…

Des gardes nationaux ont amené trois ouvriers qu’ils avaient rencontrés sur le quai, porteurs de pinces en fer et de planches. Dans un moment de barricades, ces instruments ne pouvaient manquer d’être suspects. Les ouvriers se sont justifiés de toute intention coupable, mais les pinces ont été retenues pour être remise à M. Chappey, constructeur mécanicien, chez lequel les ouvriers sont employés et à qui les instruments appartiennent.

Aune époque assez avancée de la soirée de jeudi, des hommes très robustes, à figures sinistres, à l’allure exaspérée, et armés de barres de fer, se présentèrent rue de la Pomme d’or, chez le curé de St Vivien, lui demandèrent les clefs de l’église et du clocher, ne dissimilant pas que leur intention était de sonner le tocsin.

Le digne curé Forbras, malgré l’isolement de sa situation, ne se laissa pas déconcerté par l’appareil comminatoire dont il était entouré ; il fit à ces messieurs les pires représentations sur la criminalité de leur œuvre d’insurrection, sur l’impuissance de cette lutte fratricide, sur les dangers et les malheurs qu’elle soulèverait infailliblement pour eux, pour leurs femmes, et leurs enfants ; il insiste sur ce point qu’il les connaissait tous, et que, s’ils ne renonçaient pas à leur fatal projet, il aurait à rendre contre eux, interpellé par la justice, un terrible témoignage. Enfin, et pour ce qui était spécial à l’infernale idée du tocsin, il leur fit sentir qu’il agirait à leur égard en ennemi perfide, s’il pouvait consentir à leur livrer l’accès du clocher, car la force publique ne tarderait pas à les y traquer pour leur faire payer chèrement cette double profanation de la loi des hommes et de la maison de Dieu.

Les exhortations du prêtre, du bon citoyen, furent comprises : ces hommes renoncèrent à sonner le tocsin et se retirèrent.

 

Des nouvelles d’Elbeuf :

Les ouvriers avaient employé à former la barricade de la porte de Rouen des matériaux provenant d’un mur en démolition chez M. Victor Grandin et qu’ils avaient achevé de jeter bas.. ils s’étaient ensuite installés chez M. Constant Grandin, dont ils avaient rempli la maison de pavés, après avoir jeté les meubles par la fenêtre.

Chez MM.  Chauvreuix et Chefdue, rue de la Barrière, ils s’étaient installés avec des pavés.

Rue de Louviers, chez M. Lecoupeur-Barette, une porte a été assaillie et défoncée, sur le bruit répandu, à tort  ou à raison, que c’était lui qui avait tiré le premier pour riposter au coup de pistolet parti des rangs des ouvriers au moment où ils investissaient l’Hôtel de Ville.

Dans la nuit de vendredi à samedi, quelques uns des insurgés s’étaient barricadés dans l’église Saint-Jean et s’étaient mis à sonner le tocsin. Il leur est arrivé ce dont la juste prévision du digne curé de Saint Vivien a préservé ceux qui, à Rouen, avaient formé le même projet. A Elbeuf, on a cerné l’église et l’on s’est emparé de six des ouvriers qui y avaient pris position.

Mais le sinistre signal du tocsin n’avait été que trop entendu au dehors.

Les ouvriers de la commune de La Londe, le maire en tête, étaient descendus, armés de fusils de chasse, pour défendre les barricades contre la troupe. 400 hommes de ligne sont partis à deux heures de l’après-midi, hier pour arrêter le maire chez lui.

La cour d’appel a évoqué immédiatement l’affaire des troubles d’Elbeuf, et elle a désigné pour faire l’instruction MM. Reneaudeau, conseiller, un autre de ses collègues dont le nom nous manque. ; Falconnet substitut, Censier juge d’instruction et Lefaucheur substitut.

Une voiture de poste a transporté hier soir plusieurs de ces magistrats à Elbeuf.

 

 

Le Maire de Rouen proclame

Ouvriers,

C’est avec douleur que vos magistrats se voient forcés de vous parler le langage de la sévérité et du blâme le plus énergique, au lieu de vous exprimer les sentiments de sympathie et d’affection qu’ils ont pour vous.

Mais nous manquerions au premier de nos devoirs, nous manquerions aux saintes obligations de la justice et de la vérité, si nous ne vous faisions pas connaître toute l’indignation dont nous sommes pénétrés.

Ouvriers ! Vous vous êtes laissé tromper par d’odieuses, par d’horribles excitations. Guidés par d’exécrables instigateurs frappés déjà par la main de la justice, un trop grand nombre d’entre vous se sont mis en révolte ouverte contre la loi, contre leurs frères.

Le sang a coulé dans les rues de notre paisible cité ; un voile de deuil la couvre aujourd’hui.

Ouvriers ! Vos magistrats veulent encore vous considérer comme des hommes plutôt aveuglés que criminels…

Rentrez donc, rentrez de suite dans l’ordre et le calme ; quittez la voie publique pour vous livrer à vos travaux, à vos occupations habituelles, et vos magistrats oublieront un moment d’égarement, pour ne plus s’occuper, avec une constante sollicitude, que du soin d’apporter toutes les améliorations possibles à votre position.

 

 

1er mai 1848

De quoi se plaint-on ? Quelle souffrance veut-on faire cesser ?

Nous disons, nous, que nous ne savons, en vérité, où trouver cause sérieuse à cette agression insensée.

Les soulèvements populaires qui ont abouti à une Révolution…avaient toujours pour mobile un principe ou un fait coupable à punir…

Mais ici, quelle cause, quel prétexte ? De quoi se plaint-on ? Quelles souffrances veut-on faire cesser ? Quel moyen compte-t-on invoquer ? Quel acte à venger ? Quel cri de ralliement a entraîné au combat des hommes passionnés ou égarés ? Nous le cherchons vainement.

Les ouvriers n’ont-ils pas leur part des résultats déjà acquis et des promesses certaines ? Sans doute, ils souffrent en ce moment. Mais qui ne souffre pas ? Les fabricants n’ont-ils pas soutenu, tant qu’ils ont pu, leurs fabriques, aux dépends de leur propre fortune, et pour continuer le travail, utile seulement, dans ces difficiles circonstances, aux ouvriers ? La sollicitude publique et privée, les habitants de la ville, la municipalité et le Gouvernement provisoire lui-même, ne sont-ils pas ensuite venus en aide aux ouvriers, quand le travail a été fatalement suspendu, autant qu’il était permis de le désirer ?...

De quoi donc les ouvriers ont-ils à se plaindre ? Qu’ont-ils à redouter ? Qu’ont-ils à réclamer, maintenant, d’urgence et impérieusement, qui, dans des conditions raisonnables, ne leur soit assuré pour un prochain avenir ?

 

Les arrestations se poursuivent

Dans la journée, la garde nationale et la garde mobile avaient fourni de forts piquets pour prêter main forte aux mandats de perquisition et d’arrestation décernés par la commission d’instruction. L’un de ces piquets a rapporté trois fusils saisis dans la rue du Mont-Gargan, au poste occupé naguère par des ouvriers pour la garde des arbres de la liberté plantés au Champ de Mars.

Des perquisitions opérées dans plusieurs maisons ont amenés des saisis d’armes illégalement détenues…une scie qui parait avoir servi à la confection des barricades de St Sever. .une hache de forte dimension, qui sans doute, avait été employée à desceller des pierres destinées à la construction de barricades, retrouvée dans la rivière du Robec.

De nombreuses arrestations ont été opérées dans la journée. Parmi les personnes arrêtées se trouve le sieur Meslays, ancien commandant de la garde mobile de Rouen, de très triste mémoire, et qui, depuis peu, était revenu de Paris. Il a été écroué à la prison municipale…notamment aussi d’un sieur Bonnefond, cafetier, place de la Basse Vieille Tour, des sieurs Travers et Marais,celui-ci ex-officier de la garde mobile dont nous avions cru être débarrassés.

Vers huit heures, on est venu dire que des coups de feu nombreux paraissant venir de pistolets ou mousquetons avaient été entendu du côté de Darnétal ou de la côte des Sapins mais les forces armées n’ont rien trouvé.

 

Les morts

Le nombre des décès constatés jusqu’à ce jour dans les hôpitaux est de 11, et celui des blessés de 40. Un des hommes tombés sur la barricade de Pont-de-l’Arquet a reçu une blessure d’un caractère fort extraordinaire. La balle lui est entrée par une tempe et sortie par l’autre. La vision en a été perdue sur le coup, mais la vie n’était pas éteinte hier encore.

Un des blessés de la barricade Saint Julien, qui avait été admis à Saint-Yon, a du être amené hier à l’ambulance de l’Hôte de Ville, parce qu’il s’était conduit de manière à inspirer des craintes sur ses projets et la possibilité de le garder….

Il y a là pourtant un grand enseignement à tirer pour ceux de la classe ouvrière qui ont été si cruellement abusés. Ils devraient comprendre que le droit n’était pas de leur côté dans cette douloureuse occurrence et que, s’ils ont à maudire, ce n’est pas leurs frères de la classe ouvrière ou de la classe bourgeoise, auxquels ils ont imposé le pénible et urgent devoir de les combattre, mais les misérables, à quelque classe qu’ils appartiennent, qui les ont poussés à cette révolte sans but politique, sans but moral, sans intérêt pour quoi ou qui que ce soit.

 

Les événements d’Elbeuf vus par le Journal d’Elbeuf :

A peine la nouvelle de la criminelle insurrection de Rouen est-elle répandue que le projet d’émeute, préparé les jours précédents, commença d’être mis à exécution dans notre cité. On eût dit que c’était le signal qu’attendaient les factieux.

Entre neuf et dix heures du matin, des rassemblements se formèrent à la porte de Rouen et au bas de la rue de l’Hospice. Quelques hommes aidés d’un grand nombre d’enfants de treize à dix-huit ans, se mirent à dépaver la voie publique. Bientôt une barricade s’éleva, appuyée d’un côté sur la maison de M. Constant Grandin, et de l’autre côté sur les maisons situées au pied de la côte Saint-Haut. Chose inexplicable, le premier travail des perturbateurs, le premier pas de l’insurrection s’accomplit avec la plus entière liberté, sans que l’autorité ait songé à y apporter la moindre opposition, le moindre obstacle.

Cependant la garde nationale avait été convoquée à l’Hôtel de Ville. Il est vrai que le danger augmentait à tout instant. Il fallut faire sortir des patrouilles pour rallier les gardes nationaux isolés que les insurgés insultaient et auxquels ils arrachaient leurs armes. Pendant près d’une heure, ces audacieuses tentatives de désarmement réussirent sur beaucoup de points. Toutefois vers dix heures la plus grande partie de la garde nationale se trouva réunie dans la mairie. A ce moment il était encore facile, d’empêcher l’émeute de prendre des développements plus considérables. Il faut le dire, on eut le tort de retenir la garde nationale dans l’inaction, et l’on refusa de recourir à son intervention ferme et modérée, qui était le seul moyen d’arrêter le mal à sa naissance et de prévenir les tristes conséquences que ce défaut de résolution devait amener.

Tandis que de tous les points, arrivaient les renseignements les plus précis sur les progrès sérieux et menaçants de l’insurrection, que faisaient l’autorité municipale et M. le sous commissaire ? Ou ils n’ajoutaient pas foi aux vérités dont on venait leur donner connaissance, ou ils prenaient des décisions qui révélaient l’imprévoyance, la faiblesse. Ils formulaient et faisaient afficher une proclamation qui occasionnait une singulière surprise, car cette proclamation disait que la convocation de la garde nationale était le résultat d’un malentendu et qu’on allait donner des ordres pour qu’elle rentrât immédiatement dans ses foyers. Or, au moment même où les fonctionnaires responsables du maintien de l’ordre public tenaient un tel langage, que se passait-il ? Les factieux gagnaient du terrain, ils élevaient de nouvelles barricades au Calvaire, ils s’apprêtaient à envahir la fabrique de M. Chefdrue pour en faire une forteresse d’agression à leur usage, et ils envoyaient dans les communes voisines, principalement  Lalonde, avertir leurs partisans, qui s’empressaient d’accourir, armés de fusils, et de toutes sortes d’instruments, pour les soutenir.

Mais la garde nationale était bien trop pénétrée du sentiment de son devoir, elle comprenait trop bien l’importance de la mission qu’elle avait à remplir, pour suivre l’autorité dans la voie erronée où elle s’engageait. Il est certain qu’agir dans le sens de la proclamation de M. le sous commissaire, c’eût été tout simplement abdiquer, et se retirer pour faire belle place au triomphe de l’émeute. Une protestation spontanée, unanime, se fit entendre. Un homme d’énergie, qu’on trouve toujours au moment du danger, et dont le courage et les prudentes résolutions sont toujours à la hauteur des difficultés, M. Paul Sevaistre, déclara nettement que la garde nationale entendait remplir son devoir d’ordre public, qu’elle était à son poste, et qu’elle ne l’abandonnerait pas. Il demanda qu’au vu des circonstances, on admit dans le conseil municipal un certain nombre de citoyens…

Entre onze heures et midi, plusieurs individus se présentèrent dans la rue de la Barrière, en face de la mairie. L’un d’eux s’approchant du trottoir, tira, sur les gardes nationaux qui stationnaient sous la grande porte, un coup de pistolet, dont la balle, heureusement, n’atteignit personne. Au même instant des pierres furent lancées. Quelques gardes nationaux dont les fusils étaient chargés, sortirent aussitôt contre les agresseurs et ripostèrent par des coups de feu. Un des insurgés fut atteint à la cuisse. La place du Coq se trouva déblayée.

Il n’y avait plus de doute à avoir sur les desseins des factieux. Immédiatement la garde nationale demanda qu’on lui délivrât des cartouches. Après quelques hésitations, cette distribution eu lieu. Elle était devenue nécessaire et urgente. Il n’était plus possible de laisser sans moyens de défense des citoyens qu’on venait d’attaquer à coup de pistolet.

Alors garde nationale et  troupe de ligne reçurent l’ordre de se mettre en marche pour reconnaître la situation de la ville et pour prendre les positions principales, qu’il importait de ne pas laisser envahir. On se porta d’abord vers les différentes barricades, entre autres celle du Calvaire, d’où les  insurgés se retirèrent jusqu’au moment où les troupes reçurent l’ordre de se replier dans le milieu de la rue Barrière, afin que les forces ne fussent pas dispersées. Quant à la barricade de la porte de Rouen, on reconnut qu’on n’avait pas de forces suffisantes pour l’emporter et la détruire sans une grande effusion de sang.  On résolut d’attendre l’arrivée des renforts qu’on avait demandés à Rouen. Il fut décidé qu’on resterait sur la défensive, et que les forces dont on disposait seraient concentrées aux abords de l’Hôtel de Ville et défendraient les principales rues qui y donnent accès.

La nuit arriva, et avec elle toutes les inquiétudes q’elle devait amener. Sauf les rues occupées par la force publique, qui étaient éclairées au moyen des lumières placées par les habitants sur les fenêtres de leurs maisons, le reste de la ville était dans une obscurité profonde, et cette obscurité favorisait encore les progrès des insurgés. Ils construisirent de nouvelles barricades.

Environ cent cinquante des leurs, armés de fusils, occupèrent la rue Maurepas. Du côté de l’Hospice ils gagnaient pied peu à peu, et leurs factionnaires n’étaient qu’à quelques pas des factionnaires de la garde nationale et de la ligne.

Du reste, pendant la nuit, aucune lutte n’a eu lieu, aucun coup de fusil n’a été tiré. Seulement à la pointe du jour, il était évident qu’on allait avoir à combattre de nombreux agresseurs par lesquels on était cerné, si le renfort attendu n’arrivait pas.

A cinq heures, un bataillon détaché d’un régiment de ligne qui était envoyé de Versailles à Rouen est entré dans notre ville. Sa présence fit changer les choses Les insurgés ne tardèrent pas à comprendre  qu’ils allaient se trouver en face d’une force répressive contre laquelle il serait inutile de lutter. Ils évacuèrent les rues qu’ils avaient occupées pendant la nuit et se dispersèrent. Vers six heures, la troupe de ligne et la garde nationale se sont portées sur la barricade de la porte de Rouen. A leur approche, des pierres furent lancées, qui atteignirent des gardes nationaux et des soldats de ligne. On commanda le feu contre les rebelles. Un homme tombe. Les autres prirent la fuite, et l’on resta maître de la barricade.

A six heures, la troupe était encore occupée à démolir cette barricade, qui, grâce à l’imprévoyance et à la mollesse de l’autorité durant la matinée d’hier, avait été construite si pacifiquement et si solidement à la fois. Soudain, les insurgés qui s’étaient enfuis dans les bois de Lalonde reparaissent et dirigent des coups de feu sur la troupe. On leur a répondu par une décharge qui a frappé de mort quelques-uns d’entre eux. Plusieurs ont été blessés.

A partir de ce moment, tout a été terminé, et l’ordre a été complètement rétabli.

Immédiatement on a procédé à de nombreuses arrestations. Une grande partie de ceux qui se sont signalés par leurs excès dans ces funestes évènements  sont sous la main de la justice.

A midi, une partie de la troupe de ligne et de la garde nationale, avec la garde nationale à cheval, s’est rendue dans la commune de Lalonde. En chemin, quelques coups de feu, tirés de la lisière du bois, ont été dirigés vers le détachement. Plusieurs habitants de Lalonde, connus pour avoir pris part à l’insurrection dans la journée d’hier et d’avant-hier, ont été ramenés à Elbeuf. On cite entre autres le maire de Lalonde, qui est prévenu de s’être mis à la tête des insurgés de sa commune qui sont venus essayer la guerre civile dans notre cité. Il serait bien déplorable qu’une pareille inculpation se trouvât justifiée…

Hier, dans la matinée, sur les observations qui leur ont été faites, et conformément aux intentions qui leur ont été signifiées par un grand nombre de gardes nationaux, MM. Félix et Hippolyte Linet ont quitté Elbeuf et sont partis pour Rouen. M. Polo, dont le dévouement pour la cause de l’ordre et de la Liberté est au-dessus de tout éloge, a légalement protégé jusqu’à l’embarquement la retraite de M. Linet dont la présence dans notre ville a été, dans ces derniers temps, une des causes principales des discussions qui y ont éclaté.

 

2 mai 1848

M. Deschamps a résigné hier ses pouvoirs entre les mains de M. Hippolyte Dussard, nommé par le Gouvernement provisoire commissaire générale du département…

Au nom de la fraternité, on est venu, pendant deux mois, exciter, dans les clubs, les ouvriers  à la haine et au mépris des bourgeois. On leur a dit mensongèrement que c’étaient les ouvriers seuls qui avaient fait la Révolution de Février, que par conséquent ils étaient les maîtres et quelle ne devait profiter qu’à eux…………

Or, avant ces incendiaires et fratricides propagandes, la meilleure entente existait entre les ouvriers et les bourgeois. Nous en attestons le miracle de courage qui fit supporter aux premiers, avec tant de résignation, la douloureuse crise des subsistances ; mais nous en attestons aussi le miracle non moins beau de la bienfaisance publique, qui multiplia le pain pour qu’il y en eut pour tous.. Pendant et avant cette crise il n’y avait eu que des frères parmi nous…

Il y a eu l’ordre fatalement troublé, l’ordre chèrement rétabli ; il ne subsiste, il ne doit subsister, que les enfants de la République, notre mère commune, la sauvegarde du faible et du fort, du pauvre et du riche, du simple d’esprit et du robuste par l’intelligence et l’éducation.

 

Dernière proclamation de Deschamps :

La situation continue de s’améliorer sous le rapport de la tranquillité des rues. Mais le calme des rues, on le comprend, n’a pu encore passer dans les esprits.

L’instruction judiciaire poursuit son cours, tant pour les événements d’Elbeuf que pour ceux de Rouen.

Hier une escorte de la garde nationale d’Elbeuf a conduit dans les prisons de notre ville une vingtaine d’accusés, dont l’écrou a été décidé par les magistrats instructeurs, délégués de la cour. On a aussi arrêté Bertrand Espouy[3] et l’un des frères Limet ; mais on n’a pas encore décidé leur transfert à Rouen

Pour l’affaire de Rouen, plusieurs mandats d’amener ont reçu leur exécution dans la journée, entre autres celui de M. Mathieu (d’Epinal).

 

Le nouveau commissaire H. Dussard déclare :

De ceux qui ont triomphé de ‘émeute, et qui sont forts du succès du bon droit, je réclame le calme et la modération qui conviennent à la force.

A ceux qui sont faibles et qui souffrent, je viens promettre assistance, sollicitude incessante, en échange de la patience et de la résignation qu’exige encore d’eux la République.

 

Mises au point

De Henry Pimont Manufacturier place Saint Hilaire et garde à cheval :

Je viens réclamer la publicité de votre journal pour démentir un fait qui a été répandu dans la ville depuis plusieurs jours.

Dans une charge de cavalerie dont je faisais partie, qui a eu lieu vendredi dernier contre les émeutiers retranchés derrière la barricade de Saint-Hilaire, quelques victimes ont été faites dans la rue des Sapins et sur le boulevard Saint-Hilaire ; des personnes, par intérêt ou par vengeance, ont répandu le bruit que l’une des victimes n’était pas de la barricade, qu’elle descendait à la ville au moment où elle a été frappée, et elles ajoutent que je suis l’auteur du coup qui a donné la mort. On environne cette mort de circonstances extraordinaires. Je ne sais nullement s’il faut ajouter aux calamités de ces derniers jours celle d’une victime innocente ; je le déplorerais amèrement.

Je peux dire avec affirmation que, grâce à un heureux hasard, je ne me suis pas trouvé dans la pénible nécessité d’employer mes armes contre aucun des malheureux tués ou blessés.

Loin de moi la pensée de reporter sur l’un ou l’autre de mes camarades les rumeurs qui s’adressent à ma personne, je veux seulement protester contre ces bruits, comme je proteste énergiquement contre les menaces que profèrent contre moi ceux qui prétendent venger les autres victimes, dont la mort m’est aussi étrangère que celle de la personne dont j’ai parlé plus haut.

 

De Hutin cafetier, place Saint Marc n°17

Je viens vous emprunter quelque peu de place dans votre journal, pour rétablir un fait sur les évènements de Rouen et inséré dans le Mémorial[4], ainsi conçu :

« Un cafetier, dont la maison fait le coin de la place Saint-Marc, est sorti faire le coup de feu sur la force publique, puis est rentré immédiatement dans sa maison. On a enfoncé sa porte et l’on s’est emparé de lui. Se voyant pris ce misérable s’est jeté à genoux. On lui a fait grâce. »

Comme ce fait est entièrement faux et qu’il apporte déjà, un fort préjudice à mon établissement, je déclare n’avoir pris part ni pour, ni contre dans cette déplorable lutte.

 

De Marion-Vallée commandant l’artillerie au journal La Réforme

Je lis dans votre journal d’hier que, dans le déplorable conflit des 27 et 28 avril, 150 coups de canons ont été tirés sur les barricades, et que 150 cadavres sont restés sur le carreau.

Commandant de l’artillerie de la garde nationale, je dois à mes braves camarades, comme à moi-même, de rétablir les faits, sur lesquels vous avez été complètement induit en erreur.

Chargé par le général Ordener d’attaquer une barricade rue des Arpens, j’exigeai, quoique les sommations eussent été faites, qu’elles fussent renouvelées, afin que les insurgés sussent bien que le canon allait tirer. Je priai des ouvriers de m’accompagner à la barricade et d’engager ses défenseurs à quitter leur position. N’ayant pu rien obtenir et la résistance continuant force fut donc de tirer deux coups de canon à boulet sur des maisons qui étaient signalées contenir beaucoup d’insurgés, et dont les croisées étaient garnies jusqu’au dernier étage, de pavés énormes. Trois ouvriers offrirent au général Gérard de l’accompagner sur la barricade, lui promettant qu’elle serait abandonnée et détruite par les habitants eux-mêmes.

J’arrêtai le feu de ma pièce après le 4è coup.

Seul je me portai en avant. Sur la défense deux fois répétée du général Gérard d’aller plus loin, j’ai dû m’arrêter et, comme il me faisait observer que ma place n’était pas là, je lui répondis qu’elle était partout où il y avait du danger, et que je serais heureux si, en m’exposant, je pouvais sauver la vie de nos frères égarés.

Je suivis le général Gérard, et pendant que je faisais arrêter le feu de l’infanterie, des pavés furent lancés sur nous par la fenêtre d’une maison située près de la barricade, et qui avait des croisées sur une autre rue.

Pas un homme ne fût tué, ni par la garde nationale, ni par la troupe de ligne

Une seconde pièce de canon, qui était en batterie à l’entrée de la rue Martainville, n’a pas fait feu.

Une section, placée à la barrière du Mont Riboudet, au débouché de la vallée de Déville, Bapeaume, et Maromme est revenue également sans avoir tiré.

Enfin à la barricade de la rue St Julien, faubourg Saint Sever, où se trouvait le plus fort rassemblement quinze coups de canon à boulet et pas un coup de mitraille n’ont été tiré toujours qu’après les sommations légales, en plein dans la barricade qu’ils ont démolie mais sans faire de victime….

A Rouen, tous les artilleurs, ainsi que leur chef, sont franchement républicains. S’ils ont été réduit à la cruelle nécessité de faire usage de leurs pièces contre des frères égarés par de perfides suggestions, ils l’ont fait avec tous es ménagements de l’humanité compatibles avec un devoir bien pénible, et bien rigoureux, mais à l’exécution duquel ils ne pouvaient se soustraire lorsque la cause de l’ordre et de l’existence de la République était en jeu.

 

Hier de nouveaux mandats ont été décernés, l’un, contre un membre du conseil municipal, M. Caron, peintre, domicilié rue Herbière, qu’il ne faut pas confondre avec M. Caron, peintre demeurant rue de la Renelle…

 

Il résulte de l’examen des lieux où se sont passés les regrettables événements qui ont si profondément affligé notre ville, que le nombre des barricades élevées de jeudi à vendredi dernier était de quarante et une : trente six dans l’intérieur de Rouen, et cinq à St Sever.

 

Hier soir 3 mai, à sept heures, la garde nationale d’Elbeuf et un détachement du 52è de ligne ont amené à la prison de Rouen vingt individus, parmi lesquels se trouvait une femme. Ces individus, qui ont été arrêtés à la suite des troubles d’Elbeuf, sont arrivés par le bateau à vapeur.

La femme ainsi arrêtée avait été vue avec des habits d’homme sur les barricades d’Elbeuf.

 

Le 1er bataillon du 9è léger, basé à Caen, est arrivé dans notre ville hier

 

 

Vers le procès

 

Mercredi 11 octobre 1848

Le bateau à vapeur le Rollon, ayant à son bord les 120 inculpés dans les affaires d’avril, dont nous avons annoncé hier le départ de notre ville, est entré en relâche dans le port du Havre ce matin à la marée, par suite du mauvais temps. Il est mouillé au milieu de l’avant port, en face de la Douane.

Cours d’assises du Calvados

Affaire des troubles de Rouen

Dès dimanche 12 novembre, le général Gérard était arrivé de Nantes ;

C’est M. Leferon de Longcamp qui présidera

Parmis les témoins de l’accusation, l’attention publique se porte sur M. Quenet colonel de la garde nationale de Rouen, Achille Lemasson ancien adjoint de Rouen, Leballeur-Villiers conseiller à la cour d’appel, Douche chef de bataillon de la garde nationale, Visinet aujourd’hui préfet de l’Orne et lieutenant colonel au moment des faits, Noury chef d’escadron, Deschamps ancien commissaire général du département, Gérard général de division, Marion-Vallée chef d’escadron, Lequesne chef de bataillon, Bézuel conseiller général, Ordener général…

Parmi les témoins de la défense M. Clogenson conseiller à la cour d’appel, Fargin-Fayotte représentant du peuple, Samson commissaire central, Dainez proviseur de lycée, Asse juge de paix.

Exposé des faits

La création, à Rouen des ateliers communaux, ne fut pas seulement un lourd impot prélevé sur les finances de la ville, sans résultat utile ; mais chose plus regrettable encore, ce fut un vaste foyer d’insurrection. C’était là que les mauvaises passions recrutaient sans cesse, et l’on conçoit quelles ressources leur étaient offertes, quand on pense que le chiffre des ouvriers inscrits dépassait 16000, dont 7000 agglomérés sur un même point : là, l’ouvrier était incessamment excité contre le maître ; là étaient proférées ces doctrines perverses qui peuvent se résumer par ces mots : « Haine et mort aux riches, à toux ceux qui possèdent, à tous les amis de l’ordre, de la vrai liberté. »

Durand-neveu l’un des adjoints au maire provisoire, s’était arrogé la direction suprême et sans partage des ateliers des communaux, il les visitait souvent, il en avait fait une milice.

On se rappelle ces bandes de 5et 6000 ouvriers parcourant tumultueusement les rues de la cité et, ce qui était plus grave encore, l’ouvrier paisible qui ne se réunissait pas aux agitateurs, était pointé et ne recevait pas de salaire. C’était, comme l’a dit lui-même l’un des prévenus, alors membre de la commission municipale, le régime de la Terreur que l’on voulait établir ; le commerce était déjà aux abois, l’inquiétude gagnait tous les esprits, le malaise était dans toutes les classes de la société.

On s’est emparé de l’esprit de la population ouvrière pour la faire voter despotiquement et comme un seul homme.

Ce n’est point assez, il faut s’adresser aux instituteurs primaires pur en faire des machines électorales. Le 18 avril, tous sont réunis dans une des salles de la Mairie de Rouen, et pour mieux atteindre son but, l’homme qui s’est fait président de cette réunion exalte les pouvoirs illimités du commissaire du Gouvernement ; puis il fait prendre par écrit à chacun des instituteurs primaires l’engagement de voter pour les candidats du Club central Démocratique, ajoutant que si une autre liste que celle-là obtenait la majorité les représentants ainsi élus ne siègeraient pas 24 h à la chambre. A une époque contemporaine des élections, les propos les plus incendiaires étaient préférés dans les clubs démocratiques de Rouen, de Sotteville, de Bois Guillaume, de Boos, d’Ymare, de Bosc le Hard et de Fontaine le Bourg. Si le résultat du scrutin ne nous est pas favorable, disaient les chefs de ces clubs, nous l’emporterons par la force, par la carabine ; nous marcherons dans le sang jusqu’aux chevilles.

Les recommandations les plus insistantes sont faites aux ouvriers des ateliers communaux pour se faire inscrire sur les contrôles de la garde nationale, afin d’être armés…

 

A l’audience du 14 novembre, c’est Quenet l’ex-colonel de la garde nationale de Rouen qui dépose comme témoin.
Il raconte l’épisode de la libération de Blanchard, les incidents du bois à Maromme, le déroulement des élections et le début des troubles qui ont suivis. Il est ensuite interrogé par un avocat Maître Bac. Au début des troubles la garde s’empare d’un homme armé d’un fusil. Son nom : Quesnel. Ils le conduisent à l’Hôtel de ville. Le témoin Quenet croise le groupe. L’homme a l’air en bonne santé. Pourtant un peu après lorsqu’il arrive à l’Hôtel de ville Quesnel est mort d’un coup de baïonnette dans le dos.

Maître Bac : « Le témoin connaît il les gardes nationaux qui conduisaient Quesnel ? »

Le témoin : « Je ne pourrais les désigner aujourd’hui »

Le président intervient : « Vous n’oublierez pas que, d’après l’accusation, la collision a commencé par le fait des ouvriers, et que sur ce point le témoin est d’accord avec l’accusation, vous n’oublierez pas non plus que, lorsque Quesnel a été rencontré blessé,  par le colonel, la collision avait déjà commencé, et que deux gardes nationaux étaient blessés »

Maître Bac : « Je ne prétends pas que la mort de Quesnel ait donné le prétexte de l’insurrection, mais, cette mort, au moment où elle a eu lieu, a une importance pour la défense.

Le témoin : « Je dois dire à MM. Les jurés que, lorsque j’ai appris la mort de Quesnel, quelques uns de mes ouvriers me demandèrent s’il était vrai, comme le bruit en courait, que c’était moi qui avais tué Quesnel. Je trouvai la question d’autant plus étrange, que j’avais fait, au contraire, protéger cet homme.

 

Interrogatoire de Catel

Catel : « Ce qui se disait dans les clubs, c’était ceci : que nous avions fait deux révolutions qui avaient profité à la noblesse, et qu’il fallait faire en sorte que la troisième nous profitât

Il y a trois sortes de République, la blanche, la rouge et la bleue »

Le président : « Pour laquelle êtes vous ? »

Catel : Pour la rouge, Monsieur le président, la rouge écarlate, celle du Christ, que voici : c’est la République du peuple. »

 

Les témoins à décharge (dont M. Prosper commissaire central de police) font apparaître que la garde nationale était très agressive, que certains gardes tiraient sans en avoir l’ordre.

M. Prosper :

« C’étaient les haines existant de part et d’autre, et s’envenimant chaque jour. Les ouvriers parlaient mal de la garde nationale, et surtout de la Côte d’Or. Une partie de la garde nationale, de son côté mécontente sans doute de la mauvaise situation du commerce, disait : « Quand pourrons-nous tirer des coups de fusils sur ces canailles là »

Lesur ouvrier menuisier place Eau de Robec a vu un seul homme armé sur cette barricade, mais après la décharge de la garde nationale 5 ou 6 sont tombés.

Crochet de la rue Martainville a vu tomber une petite fille dans la rue sainte Eustache ; elle avait été atteinte par deux coups de fusils des gardes nationaux, au moment où elle se trouvait seule. Elle est morte le lendemain matin.

M Fermepin  a vu les promenades d’enfants sur la place Saint Ouen. Il a vu les gardes nationaux repousser les enfants et a été témoin des premiers cris, lorsqu’un coup de fusil est parti par accident. Il a vu frapper Quesnel sur la place Saint Ouen

Le Journal de Rouen résume :

« On entend plusieurs dépositions assez insignifiantes ; ce sont des témoins qui déposent soit des violences des gardes nationaux contre eux, soit de la manière brutale dont on tirait  sans ordres sur les personnes inoffensives ».

Ce n’est que les 1er et 2 décembre que les réquisitions commencent.

Le procureur général conclut :

« A la manière dont chacun des accusés vous a présenté sa justification, vous avez pu voir, qu’il ne s’agissait, pour le plus grand nombre, que de malfaiteurs vulgaires ; malfaiteurs poussés à l’insurrection par des instincts de désordre, par des passions envieuses, par la haine que la misère enfante contre la richesse.

Non ce n’est pas la République sociale que nous voyons ici ; c’est l’anarchie, c’est le désordre.

C’est à la place de la devise républicaine, la violence, l’oppression et la haine

La plupart des accusés ont fait partie des ateliers communaux. Vous savez comment les ouvriers ont accueillis ce bienfait.

Quand ils se sont vus réunis au nombre de 15 ou 18000, ils ont voulu toucher un salaire pour un travail qu’ils refusaient de faire.

Cet acte, c’est le vol par intimidation ! Je ne trouve pas d’autre langage pour le qualifier…

Les citoyens de Rouen, possesseurs d’économie, ont dû voir l’abîme au bout d’une tolérance trop longtemps prolongée.

Cela explique l’inquiétude qui régnait dans la garde nationale…

Voyons s’il y a parmi les accusés des coupables à punir.

Ils se divisent en deux catégories :

  1. Les excitateurs et les organisateurs de la guerre civile
  2. Les exécuteurs des desseins conçus et préparés par eux

L’accusation a placé dans la première catégorie :

Durand neveu

Suireau

Paturel

Chesnée

Dubois

Philippe

 

Arrêt de la cour :

La cour condamne les accusés Durand, Suireau, Philippe Vasselin, David aux travaux forcés à perpétuité

Crahais et sa femme à vingt ans de travaux forcés

Pierre Lefebvre à six ans de travaux forcés

La fille Canu à cinq ans de travaux forcés

Saint-Ouen à cinq ans de travaux forcés et 200 frs d’amende

Prédant à vingt ans de détention

 

3 autres à 10 ans

4 autres à six ans de détention

6 autres à cinq ans de détention

3 à dix ans de réclusion

4 à six ans de réclusion

 

3 à cinq ans de réclusion

9 à trois ans de prison

3 à deux ans de prison

Les autres accusés sont acquittés

 

Le journal de Rouen conclut le procès :

« Maintenant que la justice a parlé, nous croyons qu’il importe, pour le respect dû à la vérité, que nous revenions sur la manière dont certains faits ont été présentés dans le cour de cette affaire.

Nous avons voulu respecter jusqu’au bout la position des accusés et les droits sacrés de la défense. Mais aujourd’hui le moment est venu pour nous de protester contre le scandale dont la défense a donné le spectacle pendant tout le cours des débats… Les avocats et quelques témoins à décharge qui leur venaient en aide, ne se bornaient pas à essayer de détruire ou de diminuer des faits, ils s’appliquaient surtout à présenter et à développer des faits dans lesquels l’action de la garde nationale aurait été odieusement criminelle.

Ce système de défense s’est surtout fait remarquer par l’amertume et l’exagération de langage dans les plaidoiries de Maître Bac…

On comprend qu’à ces fables odieuses et mensongères, à ces misérables calomnies, nous n’avons pas à faire une réponse qui descende dans le détail des faits. Notre énergique protestation suffit pour en faire justice. »

 

Accusé

avocat

age

métier

adresse

faits reprochés

condamnations

Durand neveu

Bac de Paris

38

commerçant

12 et 14 rue des vergetiers Rouen

responsable des chantiers communaux. A excité à la guerre. Chef de l'émeute

travaux forcés à perpétuité

Suireau

Joly de Paris

39

tailleur habits

34 rue des Fossés st Louis Rouen

Déjà condamné pour "coalition d'ouvriers". Présidait un club. était l'un des chefs de la barricade rue de la République. Chef de l'émeute. A excité à la guerre.

travaux forcés à perpétuité

Paturel

Manchon Rouen

 

domestique

en fuite

Chef de l'émeute. A excité à la guerre

non coupable

Chesnée

J. Favre Paris

40

commerçant

7 rue benoît Rouen

Chef de l'émeute. A excité à la guerre

non coupable

Dubois

Paris de Caen

 

ancien directeur tribune du peuple

en fuite

Chef de l'émeute. A excité à la guerre

10 ans de détention

Philippe

Delangle Caen

36

prof de mathématiques

23 rue de la République Rouen

S'est écrié:"N'allez vous pas désarmé les gardes qui conduisent cet homme arrêté". De sa fenêtre aux gardes:"Canailles il faut jeter des pierres sur la tête""

travaux forcés à perpétuité

Abraham

Manchon Rouen

40

peintre bâtiment

11 rue Herbière Rouen

Criait: "A bas la garde, ce sont des assassins"

acquitté

Lebreton

Delangle Caen

17,5

marchand ambulant d'allumettes

1 rue Pichine Rouen

a essayé d'arracher un sabre à un garde

acquitté

Dijon

Enault Paris

40

débitant cafetier

1 rue de la grosse bouteille Rouen

a frappé violemment un garde (Marjolin), l'a menacé avec un pistolet, lui a prit son fusil

acquitté

Gogain

Delangle Caen

49

ouvrier sur le port

6 rue des Cannettes Rouen

a essayé de prendre le sabre d'un garde (c'est même coupé la main dans cette opération)

acquitté

Thierry

Delangle Caen

41

brocanteur

28 rue du figuier Rouen

A lancé des pierres sur les gardes. S'empara du fusil d'un garde et tira. pris la fuite face à une charge en abandonnant le fusil

10 ans de réclusion

Cavelier Jean françois

Delangle Caen

39

serrurier frappeur

48 rue de la chèvre Rouen

A assailli un dragon et a reçu un coup de sabre à la tête

acquitté

Lemaitre

Delangle Caen

40

commissaire en librairie

155 rue Martainville Rouen

excitait les insurgés. A pris des planches sur un chantier pour les barricades

6 ans de détention

Ponchel

Delangle Caen

38

débarqueur de pierres

48 rue des arpents Rouen

Avec Ponchel, Vallon, Foucher on construit la barricade rue des arpents. Ils étaient armés de fusils. Ont lancé des projectiles

10 ans de réclusion

Foucher

Delangle Caen

46

porteur aux halles

42 rue des arpents Rouen

Avec Cavelier, Vallon, Foucher on construit la barricade rue des arpents. Ils étaient armés de fusils. Ont lancé des projectiles

5 ans de réclusion

Vallon

Delangle Caen

28

ouvrier teinturier

48 rue des arpents Rouen

Avec Ponchel, Vallon, Cavelier on construit la barricade rue des arpents. Ils étaient armés de fusils. Ont lancé des projectiles

5 ans de prison

Rollet

Delangle Caen

29

journalier

42 rue des arpents Rouen

Avec Ponchel, cavelier, Foucher on construit la barricade rue des arpents. Ils étaient armés de fusils. Ont lancé des projectiles

3 ans de prison

Payan

Delangle Caen

34

journalier

68 rue des arpents Rouen

Barricade rue des arpents. il avait un fusil

3 ans de prison

Thézard

Delangle Caen

26

garçon boulanger

rue du nouveau monde Rouen

Barricade rue des arpens

acquitté

Noyer

Delangle Caen

37

fileur

71 rue des arpents Rouen

barricade rue des arpens. Avait un sabre et un fusil, distribuait de l'eau de vie

acquitté

Perrier

Delangle Caen

40

fileur

133 rue des arpents Rouen

A jeté des pavés sur le général Gérard (avec Vasselin). Le général n'a rien reçu mais un dragon en a reçu un sur la tête et a eu le casque aplati

6 ans de détention

Vasselin

Delangle Caen

32

journalier

164 rue Martainville Rouen

A jeté des pavés sur le général Gérard (avec Perrier). le général n'a rien reçu mais un dragon en a reçu un sur la tête et a eu le casque aplati

travaux forcés à perpétuité

Fréret

Lebourg Caen

32

ouvrier charron

10 rue de l'amitié Rouen

Il a de la barricade rue de la chaine ajusté au fusil la troupe

2 ans de prison

Houssaye

Lebourg Caen

31

terrassier chemin de fer

8 rue Longue Rouen

Dirigeait un groupe d'une vingtaine d'individus qui força l'octroi et s'empara d'un sabre. A tiré au pistolet contre les gardes.

10 ans de travaux forcés

Belleville

Manchon Rouen

42

employé à l'octroi

7 rue tilenceul Rouen

Secrétaire club central démocratique. Il cherchait depuis plusieurs jours des armes. Barricade rue de l'épée.

acquitté

Boutteville

Houillier Evreux

34

tailleur d'habits

4 rue cul de sac Rouen

Barricade rue de l'épée. Il dirigeait les travaux.

6 ans de réclusion

Gouas

Scheppers Caen

44

brocanteur

9 rue du figuier Rouen

Dirigeait la barricade rue du Figuier. était armé de 2 pistolets

5 ans de détention

Drombois

Scheppers Caen

31

journalier

30 rue du figuier Rouen

Armé d'un fusil. Barricade rue du figuier. A emprunté fusil à Portier

3 ans de prison

Boullenger

Latouche Rouen

38

fileur

20 rue des ravisés Rouen

Barricade rue de la chèvre. Armé d'une hache

acquitté

Hérisson

Latouche Rouen

21

plâtrier

1 rue de la glos Rouen

A récupéré rue du Glos du matériel pour une barricade. Est rentré chez un brocanteur pour récupérer du matériel.

3 ans de prison

Crahais

Delangle Caen

34

chaussonnier

20 rue du ruissel Rouen

Avec sa femme repris de justice. Lui armé d'un fusil rue du Ruissel. Les époux ont jetés des pierres

20 ans de travaux forcés

Femme Crahais

Delangle Caen

18

lingère

20 rue du ruissel Rouen

Avec son mari repris de justice. la femme insultait les gardes (lâches, canailles), et elle incitait les insurgés à résister.

20 ans de travaux forcés

Saint-Ouen

Delangle Caen

 

fileur

34 place St Paul Rouen

A désarmé des gardes nationaux. Barricade rue du Ruissel.

5 ans de travaux forcés 200 fr d'amende

Prédant

Delangle Caen

37

journalier

7 rue du chaudron Rouen

Repris de justice. C'et fait remettre 2 grands couteaux. Demanda une hache pour tuer un garde. Monta des briques dans sa chambre. Engagea des femmes à faire bouillir de l'eau pour jeter sur la force armée.

20 ans de détention

Tocqueville

Langlois Caen

40

serrurier

10 rue du ruissel Rouen

Exitait les habitants de la rue du Ruissel à venir sur les barricades. Avait un fusil

5 ans de détention

Boulard

Langlois Caen

28

menuisier

10 rue du ruissel Rouen

Il envahit de force la chambre de la dame Fabulet pour lancer d'énormes pierres rue du ruissel sur la troupe.

5 ans de détention

Fille Canu Joséphine

Langlois Caen

21

marchande 4 saisons

27 rue du reuissel Rouen

Cherchait des armes pour la barricade rue de la chèvre.

5 ans de travaux forcés

Chevalier

Langlois Caen

33

journalier

27 rue du ruissel Rouen

Cherchait des armes pour la barricade rue de la chèvre.

acquitté

Coulin Michel

Langlois Caen

32

fileur

27 rue des ravisés Rouen

Cherchait des armes pour la barricade rue de la chèvre

acquitté

Femme Coulin/Canu

Langlois Caen

32

fileuse

27 rue des avisés Rouen

Cherchait des armes pour la barricade rue de la chèvre.

acquittée

Leroy

Varin Caen

27

brocanteur

69 rue du ruissel Rouen

Barricade rue du Ruissel. A dépavé la rue

5 ans de réclusion

Eude Maie Louise

Varin Caen

22

dévideuse

84 rue du ruissel Rouen

Barricade rue du ruissel. Avait une hache pour défoncer les portes des maisons

acquittée

Rousseau

Houillier Evreux

45

menuisier

14 rue de la cigogne du mont Rouen

construction barricade rue Saint Hilaire

5 ans de réclusion

Vialatte

Houillier Evreux

45

serrurier

24 rue bassesse Rouen

construction barricade rue Saint Hilaire

6 ans de réclusion

Perrois

Houillier Evreux

37

paveur

38 rue de la rose Rouen

Barricade rue st Hilaire. Président d'un club où il tenait les propos les plus atroces et voulait désarmer la garde.

10 ans de détention

Régoli

Houillier Evreux

22

journalier

Darnétal

Barricade rue st Hilaire. Arbres sciés

acquitté

Delépine

Houillier Evreux

35

teinturier

20 rue de la rose Rouen

Barricade rue st Hilaire. Arbrs sciés

10 ans de détention

Berroux

Lebourg Caen

17

secrétariat hospice

13 rue bassesse Rouen

A pris le commandement d'un rassemblement considérable rue Eau de Robec. Recherche d'armes

10 ans de réclusion

Fille Torton Louise

Varin Caen

35

devideuse

12 rue Pont à renaut Rouen

Armée d'un couteau, elle exigea d'un serrurier des pics et des pioches.

acquittée

Flahaut

Manchon Rouen

29

teinturier

1 faubourg Martainville Rouen

Barricade rue Martainville. Désarma des gardes nationaux.

3 ans de prison

Girard

Delangle Caen

40

journalier

4 rue de la grande mesure Rouen

Désarma des gardes nationaux

acquitté

Bourry

Manchon Rouen

36

tisserand

11 rue Mont Rouen

Désarme avec Barbet un garde. Menace un garde d'un sabre.

3 ans de prison

Barbet

Manchon Rouen

48

fileur

90  rue st hilaire Rouen

Désarme avec Bourry un garde

acquitté

Revert

Manchon Rouen

34

ouvrier teinturier

70 rue st vivien Rouen

à la tête d'un rassemblement considérable. Exigea des armes d'un garde.

6 ans de détention

David dit Fabulet

Varin Caen

43

manoeuvre

163 rue martainville Rouen

Repris de justice. A voulu viser un garde. A tenu des propos atroces.

travaux forcés à perpétuité

Leprévost

Latouche Rouen

30

frappeur chez M. Buddicom

153 rue du carrefour Sotteville

A dirigé avec Bunel un rassemblement considérable de Sottevillais. Envahit la mairie, se sont emparés de 20 fusils.

circonstances atténuantes

Provost

Latouche Rouen

48

fileur

Sotteville

a Sotteville se sont fait remettre des fusils par les gardes (visite à domicile)

6 ans de réclusion

Groult

Scheppers Caen

 

fabricant de plâtre

en fuite

Dirigeait la barricade rue St Julien. Avait placé sur la barricade un baril de poudre de 45 kg.

6 ans de réclusion

Lefebvre

Latouche Rouen

22

fileur

56 rue du carrefour Sotteville

à Sotteville se sont fait remettre des fusils par les gardes (visites à domicile)

6 ans de travaux forcés

Poulzac

Latouche Rouen

45

tisserand

31 rue des moulins à vent Sotteville

a sotteville se sont fait remettre des armes par les gardes (visite à domicile)

3 ans de prison

Beuzeval

Manchon Rouen

25

frappeur chez M. Buddicom

42 rue du nouveau monde Sotteville

à Sotteville se sont fait remettre des fusils par les gardes (visites à domicile). Barricade rue St Sever. Armé

5 ans de détention

Lefas

Latouche Rouen

32

fileur

10 bis rue des marettes Sotteville

à Sotteville se sont fait remettre des fusils par les gardes (visites à domicile)

5 ans de réclusion

Savaroc

Latouche Rouen

29

frappeur chez M. Buddicom

Sotteville

à Sotteville se sont fait remettre des armes par les gardes (visites à domicile). Amena les ouvriers de Sotteville sur la barricade rue St Julien et y planta son drapeau.

5 ans de détention

Lecène

Latouche Rouen

46

tisserand

20 rue des brouettes Rouen

à Petit Quevilly, à la tête d'une bande armée d'un pistolet, s'est présenter aux domiciles de gardes pour récupérer des armes. Faisait sentinelle barricade St Julien

6 ans de réclusion

Quesnel

Latouche Rouen

22

chauffeur

88 rue d'Elbeuf Rouen

à la tête de 20 individus armés, récupération d'armes chez les gardes. Barricade rue des Brouettes

5 ans de détention

Lefebvre

Latouche Rouen

50

marchand de légume

18 rue des brouettes Rouen

faisait la sentinelle barricade rue des brouettes

acquitté

Rebut François

Manchon Rouen

37

fileur

63 rue st julien Rouen

avait pris un baril de poudre chez un fabricant de mèches pour la barricade rue St Julien

acquitté

Rebut jeune

Manchon Rouen

35

fileur

63 rue st julien Rouen

 

acquitté

Catel

Scheppers Rouen

40

outilleur

153 rue carrefour Sotteville

était un des principaux chefs, barricade rue St Julien. C'est à lui que le général Gérard remit sa montre en lui donnant 1/4 d'heure pour détruire la barricade

acquitté

Bataille

Varin Caen

21

chaudronnier

90 rue st julien Rouen

Barricade rue St Julien. était armé

acquitté

Quesné

Varin Rouen

43

 

route de Caen Rouen

arrêté dans le cimetière St Yon pendant l'attaque barricade St Sever, en possession d'un fusil

acquitté

Messier

Varin Caen

35

 

Petit Couronne

Barricade rue de la pucelle. A coupé des arbres

2 ans de prison

Jean Toussaint

Varin Caen

32

plâtrier

87 rue des vaches Sotteville

armé d'un sabre barricade rue St Julien

acquitté

Fleury

Varin Caen

30

serrurier

144 rue martainville Rouen

armé d'un fusil, est passé de la barricade rue de la pucelle à celle de St Julien

2 ans de prison

Conseil

Scheppers Caen

26

ajusteur

60 place carrefour Sotteville

Barricades rue St Sever. Armé

acquitté

Pourpardin

Scheppers Caen

20

serrurier

14 rue de Sotteville Rouen

Barricades rue St Sever. Armé

acquitté

Dubreuil

Blanche Caen

 

 

 

comparait libre. Présidait le club de St Sever. Est accusé d'avoir voulu promener le corps de Boullenger pour montrer les crimes commis par la garde nationale.

acquitté

Paumier

 

 

officier de santé

en fuite

barricade rue st Hilaire. Arbres sciés

acquitté

Bunel

 

 

ouvrier

Sotteville en fuite

A dirigé avec Leprévost un rassemblement considérable de Sottevillais. Envahit la mairie, se sont emparés de 20 fusils.

acquitté

Lefebvre

 

22

fileur

56 rue du Carrefour Sotteville

 

acquitté

Faurisson

 

 

ouvrier

en fuite

à Sotteville se sont fait remettre des fusils par les gardes (visites à domicile)

acquitté

Cavelier Pierre

 

41

débourreur filature

27 rue du bac Sotteville

à Sotteville se sont fait remettre des fusils par les gardes (visites à domicile)

 

Coulin Antoine

 

33

ouvrier sur le port

27 rue des ravisés Rouen

 

acquitté

 

 

 

Cour d’assises du Calvados

Troubles d’Elbeuf

 

24 décembre 1848

Les accusés au nombre de 47 sont placés par ordre alphabétique sur les six bancs les plus rapprochés de la cour.

Faits généraux rapportés par le procureur :

Les doctrines communistes importées de Paris, fomentées à Elbeuf, dans le Club Fraternel, par des hommes dont la doctrine politique est qualifiée, avaient jeté la perturbation au sein de cette ville toute manufacturière. Les ouvriers peu laborieux dont elle favorisait les mauvais penchants, , les ateliers nationaux imbus de ces idées, étaient résolus à les faire triompher même par la violence .

Le résultat des élections, le contrecoup des évènements de Rouen, avaient préparé l’insurrection d’Elbeuf ; une dernière circonstance vint en déterminée l’explosion.

Le vendredi 28 avril 1848, dans la matinée, les deux compagnies de troupe de ligne en garnison à Elbeuf, reçurent du général Ordener l’ordre de départ pour Rouen.

Un rassemblement se porta entre cette troupe et le bateau à vapeur pour s’opposer à son embarquement.

L’autorité civile eut le tort grave d’ordonner à cette fraction de l’armée de rentrer dans ses quartiers ; le commandement militaire crut devoir obéïr. Cette première concession à l’émeute lui donna un nouvel aliment, et recelait en son sein tous les désordres de la journée.

Une foule tumultueuse se dirigea vers la place du cop, où est l’Hoel de Ville ; elle paraissait vouloir envahir la maison commune, et pressait de plus en plus le poste de la garde nationale qui occupe ce lieu.

Un ou deux coups de feu partirent de cet attroupement désordonné ; la balle de l’un des coups vint frapper sous la voûte de la grande porte de l’Hôtel de ville, au-dessus du point où se trouvait le factionnaire, et détacha des fragments de pierre qui tombèrent sur ce citoyen. A cette attaque, des hommes du poste, qui avaient pris personnellement la précaution de charger leurs armes, ripostèrent par quelques coups de fusil qui balayèrent la place, l’un des assaillants fut légèrement blessé.

L’émeute grandit, se propagea et parvint bientôt au plus haut degré d’effervescence.

Le rappel fut battu ; les gardes nationaux en uniforme accouraient de toutes parts au secours de l’ordre et de la liberté troublée ; mais les émeutiers se jetaient sur ces citoyens isolés ; les uns leur arrachaient leurs armes, les autres voulaient s’assurer qu’elles n’étaient pas chargées ; ils passaient les baguettes dedans, visitaient les gibernes pour voir si elles ne contenaient pas de cartouches, enlevaient celles qu’elles renfermaient. Les gardes nationaux, pressés dans la foule, maltraités, impuissants dans leur isolement, étaient réduits à subir ces attaques et ces outrages.

Le conseil municipal se déclara en permanence ; mais, livré à des tiraillements intérieurs, sans unité de vues, certains conseillers recommandant l’action, d’autres la temporisation, il ne prenait aucune mesure contre le mouvement insurrectionnel qui désolait la cité.

A la faveur de cette inertie les barricades se construisirent ; plusieurs commencées le matin, s’achevaient ; d’autres s’élevaient avec rapidité. A l’instar de celles de Paris formées de voitures, de pavés, de démolitions de mur, de meubles amoncelés, leur construction était évidemment dirigée par des hommes qui en avaient l’expérience ; il en est même qui se vantaient, en donnant leurs instructions, de les avoir puisées dans la capitale.

La position de ces barricades était conçue comme un système d’ensemble pour ainsi dire stratégique. A l’extrémité de la rue de la Barrière, une barricade arrêtait la circulation de quatre rues donnant sur la place du Calvaire ; une autre, à la jonction des rues Saint-Etienne et de Rouen, appuyée sur la propriété de M. Constant Grandin, et reliée à une troisième sur la rue Notre-Dame, cernait cet établissement et coupait les communications avec Rouen ; une quatrième barricade, placée au bout de la rue de l’Hospice, interceptait les rues Thuit-Auger et des Ecarmaux ; d’autres retranchements étaient encore établis rue Bertaux, rue de la Rochelle, rue Saint-Jean. Le résultat de cette disposition générale était de couper les principales voies qui conduisent, par divers affluents, vers l’Hôtel de ville, siège de l’autorité, et point de réunion pour la force publique. Pour activer ces travaux, préparer les moyens de résistance contre la force légale, si enfin elle apparaissait, les meneurs faisaient sonner le tocsin à l’église St-Jean., à l’église Saint Etienne ; ils arrêtaient la marche des pompes qui fonctionnaient encore dans quelques usines ; ils fermaient les ateliers, emmenaient de gré ou de force, les ouvriers paisibles ou indécis, les forçaient de travailler aux barricades, leur mettaient les armes à la main…

La commune de Lalonde composée en grande partie d’ouvriers de fabrique, reçut leur première visite, trois émissaires à cheval coururent successivement sur ce point pour y semer l’agitation. A leur voix, les mauvais sujets du lieu se rassemblèrent ; l’un d’eux bâtit la caisse ; on se porte à l’église pour sonner le tocsin, de là à la mairie, où l’on s’empara des fusils de la garde nationale…

Les tentatives d’insurrection et les désordres s’étendirent sur les communes de Thuit-Anger, d’Orival, et jusque dans celle de Saint-Ouen de Lalonde, arrondissement de Pont Audemer dans l’Eure.

Cependant la garde nationale d’Elbeuf n’était pas restée spectatrice de la violation impie de tous les droits de cité ; elle ne voulait pas courber le front devant l’émeute, et demandait à marcher. Abandonnée à elle-même, ne recevant ni ordre, ni moyen de défense, elle se plaignait qu’on n’utilisait pas son courage. Un certain nombre de gardes nationaux pénétrèrent dans la salle du conseil municipal, brisèrent deux caisses où étaient renfermés des cartouches et les distribuèrent à leurs camarades.

Une liste de vingt citoyens, dont on demandait l’adjonction au conseil municipal, fut présentée à ce conseil et fut acceptée.

Un détachement de la garde nationale et de la troupe de ligne, ayant à sa tête des officiers municipaux et le sous commissaire du Gouvernement fut faire une reconnaissance à la barricade qu’on élevait rue Saint-Jean. Après les roulements de tambour et les sommations légales, l’attroupement se dispersa. Même mouvement sur la place du Calvaire et même résultat. Ces faciles succès auraient dû encourager l’autorité à l’action : loin de là, elle céda devant la première démonstration sérieuse qu’elle rencontra. Des secours étant demandés de la fabrique de M. Victor Grandin, livrée à la dévastation, la garde nationale appuyée de la troupe de ligne, s’y porta ; elle trouva, retranchés derrière la barricade de la porte de Rouen, les insurgés, armés de fusils, de fourches, de toutes espèces d’instruments, occupant la maison Constant Grandin et le mur du jardin. Les insurgés couchant en joue la force publique ; l’autorité civile hésite, s’arrête devant cet appareil. Des parlementaires viennent des rangs des insurgés ; ils exigent la mis en liberté de quatre individus arrêtés au moment où ils sonnaient le tocsin et la retraite de la force armée ; à ces conditions ils consentent à abandonner leurs retranchements. Le sous commissaire du Gouvernement est consulté, les conditions sont acceptées, et la garde nationale et la troupe de ligne, indignés, reçoivent l’ordre de la retraite. Pour ajouter à cette humiliation, une grêle de pierres est lancée par les insurgés, et un officier de la garde est désarmé aux cris répétés de « Vive la ligne ! Vive la garde nationale ! »

Enhardis de plus en plus, les insurgés envoyèrent, à plusieurs reprises, des délégués devant le conseil municipal ; ils dictaient ainsi les volontés de l’insurrection. Le désarmement de la garde nationale ou le partage égal des armes avec les ouvriers, l’annulation des élections, la démission de M. Victor Grandin. Il en est même qui osèrent demander des têtes pour prix de leur capitulation. On leur donna lecture d’un projet de proclamation imprimé ; on leur remit une autre pièce manuscrite. Dans la première on lisait : « Citoyens, la troupe de ligne rentre dans la caserne ; par suite d’un malentendu la garde nationale a été rassemblée, etc.… » On annonçait dans la seconde, « que les armes des gardes nationaux seraient déchargées devant le citoyen sous commissaire, et que le mot d’ordre des patrouilles serait donné aux ouvriers ».

Tout cela ne satisfait pas les perturbateurs ; leur audace augmentait en proportion des concessions ; néanmoins ils craignaient l’arrivée de troupes de Rouen. Ils parlaient de prendre et de garder en otage les femmes des principaux fabricants, de les placer sur les principales barricades pour empêcher le feu.

Le samedi 20, à la pointe du jour, deux compagnies du 52è  arrivées de Rouen, réunies à la force armée d’Elbeuf, se portèrent sur les barricades, qui furent évacuées et détruites sans combat. Cependant à celle de Rouen, un coup de feu, parti du côté des insurgés, détermina une décharge partielle de la part de la troupe ; un homme fut tué, quatre autres personnes furent blessées.

L’insurrection était anéantie, mais elle avait atteint son but immédiat, qui était d’empêcher que du secours ne fut porté à Rouen, qu’elle croyait au pouvoir de l’émeute. Son caractère avait été beaucoup plus social que politique. Toutes les paroles proférées au milieu des groupes se résument dans celle-ci : « Nous sommes cent pauvres contre un riche ; il y a assez longtemps que nous obéissons aux fabricants, à nous d’être les maîtres aujourd’hui »

 

Audition des témoins

Le 1er témoin est Victor Quesné Prieur 1er adjoint remplissant les fonctions de Maire pendant les troubles

Le Président :

Dans votre opinion, quelles sont les causes générales et particulières de l’émeute et de l’irritation des ouvriers contre les maîtres ?

Le témoin :

L’extrême misère, l’eau de vie, l’excès du travail, la débauche, l’ignorance, et malheureusement aussi, le peu de sympathie que certains fabricants, en petit nombre, il est vrai, montrent aux ouvriers ces dernières années. J’ajouterai la lecture, bien dangereuse pour des esprits incultes, des plus mauvais journaux parus depuis février.

Le président :

Le club du cirque autrement dit le club Bertrand, n’a-t-il pas beaucoup contribué au désordre ?

Le témoin :

Il ne se tenait pas de club au cirque. On y faisait seulement des cours ou conférences, où étaient traitées, posées, commentées, de hautes questions socilaes. Assurément, ce qui n’eut pas été dangereux pour des esprits éclairés fit beaucoup de mal à nos ouvriers.

Le président :

Quel est le caractère des ouvriers d’Elbeuf ?

Le témoin :

Il est bon, généreux, laborieux et économe. Autrefois les fabricants exerçaient sur les ouvriers un véritable patronage, surtout les maisons anciennes. Depuis l’introduction de la nouveauté à Elbeuf et le système des nouveaux fabricants,les choses ont bien changé.

Le président : Quel est le salaire en moyenne des hommes et des femmes de vos fabriques ?

Le Témoin : Les hommes gagnent de trente à trente-deux sous, les femmes quinze à dix-huit sous par jour.

Le Président : Le club du Comité Fraternel n’a-t-il pas fait beaucoup de mal ?

Le témoin : il n’y avait pas de club de ce nom seulement un comité électoral qui n’a jamais tenu de séances publiques.

Le Président : Quel était le nombre des membres de ce comité ?

Le témoin : Quarante environ.

Vient ensuite un second témoin ? M. Lemercier receveur de l’enregistrement à Elbeuf. Il déclare :

Avant la Révolution de Février, la population ouvrière permanente d’Elbeuf, qui était extrêmement paisible et laborieuse, fut agitée par des ouvriers venus de diverses villes du midi, de Lyon notamment, et qui proclamaient des doctrines communistes. Après la révolution, il arriva de Paris à Elbeuf d’autres agitateurs qui firent ouvrir des clubs et prononcèrent des discours violents, anarchiques, dont le résultat fut de jeter l’effervescence dans la population.

Délibérations

A 23h40 le jury se rend dans la salle des délibérations.

A 5h45 le dimanche 31 décembre 1848 ; il rapporte son verdict en vertu duquel vingt-cinq accusés sont déclarés non coupables et vingt-trois sont déclarés coupables, tous avec des circonstances atténuantes.

 

Accusé

Faits reprochés

sentance

Allais

En bande s’est rendu chez Lebaillif pour lui prendre son fusil avec violence

acquitté

Auvard

Contribua a désarmé 2 gardes devant la mairie. Disait qu’il fallait partager les armes de la garde nationale avec les ouvriers

acquitté

Boutiller

Arracha le sabre d’un officier de la garde devant la barricade route de Rouen avec 2 complices. Força le sieur Rullon à travailler aux barricades. Courut avec d’autres pour faire sonner le tocsin. Arrêté à ce moment.

2 ans de prison

Bourdet

Etendit les tentatives d’insurrection jusqu’à ST Ouen Lalonde, avec Chrétien. Ils se rendirent chez le Sieur Signol à qui ils prirent un fusil et chez la dame Girard débitante de tabac à qui ils prirent de la poudre. Etablirent un reçu avec leur nom.

acquitté

Bréant Charles

Homme violent en rapport perpétuel avec les ouvriers disposés à l’émeute. Récupère de force un fusil chez le sieur Mallot en brisant la porte. Présent barricade devant chez Grandin

13 mois de prison

Bréant Pascal

Dit le chanteur.

Il est parmi les ouvriers qui depuis la révolution de février réclamaient une augmentation de salaire en même temps qu’une diminution des heures de travail. A la fabrique du sieur Mouchet, puis à celle du sieur Boer, ils entraînent tous les ouvriers à sortir. Une barricade est construite sous sa direction.  Ils désarmes des gardes

2 ans de prison

Bérenger

On l’entendit dire qu’il faudrait que la guillotine passât 8 jours à Lalonde. Alors que la femme Landoux chez qui il venait chercher des armes lui propose du cidre il répond : Ce n’est pas du cidre qu’il nous faut, nous voulons boire le sang des fabricants

acquitté

Boivin

Armé d’un fusil, s’est montré à la barricade route de Rouen. Il a dit qu’ils vont tuer ces voleurs de fabricants

acquitté

Caire

Cet homme étranger à la ville d’Elbeuf, est un des principaux moteurs de l’insurrection. Dès ls troubles de Rouen, il appelle les ouvriers à agir. Cet homme a déjà été condamné pour délit de coalition.

13 mois de prison

Charpentier

A aidé à la construction barricade rue de l’hospice. Son rôle était celui d’un chef car il plaçait les factionnaires. Il a inscrit sur une liste le nom des 67 insurgés qui formaient la barricade de la rue de l’Hospice

acquitté

Chevalier

En bande s’est rendu chez Lebaillif pour lui prendre son fusil avec violence Avec une vingtaine d’individus armés de fourches,  a récupéré des armes à Thuit Anger. A récupéré des voitures chez le sieur Lebourg pour mettre sur les barricades/

13 mois de prison

Cavelier

Pas  clair

acquitté

Chrétien

A fait sortir les ouvriers de 2 ateliers. A récupéré de force des munitions

 

Daumesnil

Est monté dans une maison avec des pierres et autres objets lourds pour les jeter sur la garde nationale.

acquitté

Druel

Participe toute la journée et la nuit à la barricade route de Rouen. Chez l’épicier se font remettre des cigares, de l’eau de vie, du cidre, du tabac et un drapeau, chez le boulanger cinq kilos de galettes avec du beurre. Ils font des bons avec leurs noms, disant que la municipalité paiera

acquitté

Dautresme

S’est emparé du fusil d’un garde aidé par une vingtaine d’ouvriers

acquitté

Dufour

Présent barricade porte de Rouen avec un fusil récupéré à un garde

 

Dupont

Est entré de force dans la maison de la dame  Christophe située au dessus de la barricade rue de l’Hospice. Commandant un groupe il a monté des pierres. A contribué à désarmer des agents de la force publique.

acquitté

Duhamel

Arrivé dès le matin de la fabrique du Buquet, aida à construire la barricade rue de ‘Hospice. A la tête d’une bande a agressé un garde et l’a désarmé.

3 ans de prison

Duteurtre

Armé d’un croissant, il s’est introduit dans deux maisons pour rechercher des armes

13 mois de prison

Franqueville

 A participé à récupérer des armes chez les gardes nationaux.

13 mois de prison

Gilles

A vérifié les armes des gardes et les gibernes. A crié « aux armes, on vient de blesser un de nos frères. Présent barricade du Calvaire

Acquitté

 

Goyat

Originaire des cotes du nord, cet ancien forçat libéré (condamné 5 fois dont une fois à 7 années de travaux forcés) a pris part aux troubles et à la barricade porte de Rouen

5 ans de détention

Hervieu

Barricade côte Saint-Haut. Habitant à Lalonde, il a inspiré la terreur pour récupérer des armes.

3 ans de prison

Ignard

Arracha le sabre d’un officier de la garde devant la barricade route de Rouen avec 2 complices. A saisi un autre officier à la gorge.  On l’a entendu dire : nous sommes quinze pauvres contre un riche, nous en viendrons bien à bout, demain nous porterons leur tête en haut de nos baïonnettes.

4 ans de prison

Jorris

A fait partie d’une bande qui visitait les maisons des gardes pour récupérer leurs armes

13 mois de prison

Langlois

Il travaillait avec ardeur à la construction des barricades

acquitté

Leprêtre

A la barricade du Calvaire il commandait, dirigeait et s’y montrait au premier rang armé d’un fusil et d’une giberne. On dit qu’il renversa sa propre voiture pour débuter la barricade !  Il est l’un de ceux qui parlementa avec l’autorité. Il demanda « la démission de MM. Victor Grandin et Dubremet, le désarmement de la garde, la tête de MM Paumier et Lecoupeurs ;

13 mois de prison

Lesaux

Arracha le sabre d’un officier de la garde devant la barricade route de Rouen avec 2 complices

13 mois de prison

Lecomte

Armé d’un fusil rue de l’Hospice, il arrêtait tous ceux qui passaient en criant du renfort du renfort

acquitté

Levacher

A récupéré par la force des armes. Il parler de tuer Victor Grandin, qu’il traitait de scélérat, quoiqu’il gagnât 15 à 18 frs par semaine chez ce manufacturier.

4 ans de prison

Lemonnier

 A désarmé par la force des gardes

acquitté

Lemercier

A la tête d’une bande il se rendit à Orival ou il visita des maisons de gardes pour récupérer des armes.

13 mois de prison

Lormier

Ce jeune homme est un de ceux qui s’est le plus donné dans l’insurrection. Il a travaillé à construire la barricade porte de Rouen. Il est allé chercher du renfort à Lalonde. Il a battu le rappel avec le tambour, récupéré des armes.

acquitté

Malzard

A récupéré des armes

acquitté

Martin

A désarmé un garde

acquitté

Mazier

Un des chefs de la barricade du Calvaire. Il parlementa avec l’autorité

Acquitté. Doit passer en correctionnelle à Rouen

Moulin fils

A participé avec une bande, à entrer de force dans une maison pour récupérer des armes.

acquitté

Mauger

L’un des principaux fauteurs de l’insurrection. Sur un cheval il alla à Lalonde crier : aux armes, on assassine nos frères

3 ans de prison

Marais

A participé à récupérer des armes pour se rendre aux barricades.

13 mois de prison

Prévost

Il a participé à entrer par effraction chez Grandin. A récupéré des armes.

acquitté

Pinayet

Il était l’un des insurgés qui commandait à la barricade porte de Rouen.. il était l’un des parlementaires.

13 mois de prison

Papavoine

A récupéré des armes

13 mois de prison

Pépin

Il a extrait des pavés de la rue pour la barricade porte de Rouen. Parait non détenu.

acquitté

Papey

Armé d’un sabre il a récupéré des armes.

acquitté

Ruelland

Il se vanta venir de Paris et savoir ce que c’était les barricades. Il proposa aux ouvriers de venir le lendemain place du Coq pour leur lire le journal et leur donner des instructions pour l’émeute

acquitté

Turpin

A emprunté de force un fusil qu’il a ensuite rendu. Montait la garde à la barricade porte de Rouen

acquitté



[1] Archives départementales de Seine Maritime JPL 3

[2] Cette durée est fixée à 10 heures à Paris et 11 en province. Ce sera un objet de discorde.

Après la publication de cet arrêté, le 12 mars 2 erreurs ont été rectifiées. Nous avons introduit directement ces rectifications.

[3] Candidat communiste. Voir son programme dans la brochure.

[4] Journal concurrent



06/09/2012
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