A partir du 100° jour de la grève du Havre de 1922, Pierre Monatte est sur place et téléphone quotidiennement à la rédaction de l’Humanité.
Ce que le Comité des Forges coûte à la ville du Havre
Article paru à la Une de l’Humanité du 27 septembre 1922.
Le Havre, 26 septembre. – (par téléphone de notre envoyé spécial) – La France deviendra l’une des grandes nations métallurgiques du monde, a déclaré dimanche le ministre des travaux publics Le Trocquer, en inaugurant un monument aux morts en Bretagne.
Cela fait bien dans les discours. Mais, depuis 1918, cette chanson se répète. Et l’on constate, au contraire, une paralysie dans l’industrie métallurgique. S’il en était autrement, une grève de 15.000 ouvriers métallurgiques n’aurait pas pu durer 100 jours. C’est aujourd’hui 26 septembre en effet, le centième jour de grève des métallurgistes du Havre. Le mouvement éclata le 19 juin aux chantiers de la Gironde. Il se généralisait ensuite et tous les métallurgistes havrais y participent maintenant.
Le sifflet des tréfileries
Dans quelques usines, aux Tréfileries notamment, la réduction de 10 % avait été imposée le 16 avril, c’est-à-dire deux mois avant. Le personnel de ces usines avait esquissé quelques gestes timides de protestation, mais il n’avait pas osé engager la lutte. Il avait encaissé la diminution; il se rallia ensuite au mouvement dont il n’avait pas eu l’audace de prendre l’initiative; mais il est le premier aujourd’hui à manquer de souffle, à trouver que le chemin est long et la victoire lointaine. C’est dans ses rangs que les défections sont les plus nombreuses.
Le sifflet des Tréfileries s’est fait entendre hier sans résultat. Aujourd’hui, quand le patronat a sifflé ses esclaves, un certain nombre s’est présenté. Mais les lamineurs, les tréfileurs proprement dits, résistent encore et sans eux on ne voit pas bien quel travail pourrait être fait. Hier précisément, en analysant la situation, le Comité de grève notait certains points faibles. Aussi n’a-t-il pas été surpris ni découragé qu’il y ait de la lassitude au centième jours dans les rangs des grévistes. Il faudrait être fou pour supposer qu’il pourrait en être autrement.
Mais de la lassitude, il y en a de l’autre côté de la barricade, il y en a dans les zones neutres.
Les frais généraux des patrons courent depuis 100 jours et la caisse noire du Comité des Forges ne pourra jamais les indemniser entièrement. Mais il s’agit seulement pour les patrons de bénéfices perdus, de dividendes écornés. Schneider ne monte pas au bois de Mongeon avec des souliers prenant l’eau et il ne fume pas un havane de moins, mais gare les bilans de fin d’année. La grève du Havre leur aura coûté dix fois plus cher que s’ils avaient maintenu les 10 %.
2 millions de charges pour la ville du Havre
De la lassitude il y en a dans l’opinion publique havraise. Le scandale de l’occupation de la ville par les troupes depuis un mois et demi n’est pas un scandale gratuit. Le coût s’en chiffre déjà pour la ville à plus de 2 millions que les contribuables devront payer et parmi les contribuables, les commerçants déjà atteints par la non consommation des 15.000 familles de grévistes et les hôteliers dont les troupes et la police ont fait fuir les clients.
Cette lassitude extrême explique certaines lignes publiées par le Petit Havre l’organe qu’influence M. Siegfried:
Il nous paraît intéressant de publier que les arrestations pour faits de grève ont été faites par application de l’article 10 dont M. Barthou, ministre de la justice, a demandé lui-même l’abrogation…
Vu les circonstances, il est donc à souhaiter qu’on remette bientôt en liberté M. Louis Quesnel et les autres militants qui ne sauraient être rendus responsables de l’émeute du 28 août.
Retirez les troupes, relâchez les militants arrêtés, rendez leur Bourse du Travail, c’est-à-dire le Cercle Franklin, aux grévistes, voilà ce que demande la population havraise. Elle le demande par intérêt autant que par un sentiment obscur que la légalité a été violée et que des êtres humains en souffrent durement.
Un écho de la grève au Conseil général
Mais quiconque est animé du sentiment de justice est obligé d’être plus exigeant que l’opinion bourgeoise. Il ne comprend pas que le préfet de Poincaré qui a quatre morts sur la conscience ait pu paraître avant-hier au Conseil général de la Seine-inférieure sans se voir reprocher son crime. Il ne comprend pas davantage que le président de ce Conseil général, M. Paul Bignon, dont la radicale Dépêche de Rouen se félicite qu’il a été élu pour la vingtième fois, ait osé tenir un langage identique à celui que l’ordure que les « jaunes » firent afficher récemment sur les murs du Havre:
« Dès que dans un différend entre travailleurs et patrons, conflit de franc jeu comme il s’en élève entre honnêtes gens, se glissent des louches agitateurs, obliques auteurs de désordre qui, habiles à s’esquiver des responsabilités et des coups, font bon marché de la vie des autres, il faut que les conscience se révoltent. Il faut encore que l’ouvrier voit clair. »
L’ouvrier voit clair et sa conscience se révolte, vous pouvez en être sûr, M Brignon. Il a vu, de ses yeux vu, où sont les assassins. Leur responsable direct, il était à vos côtés au fauteuil préfectoral et c’est pour le couvrir que vous cherchez à rejeter sur d’autres la responsabilité du sang qu’il a fait verser pour complaire à Sa Seigneurie Schneider. Mais vous ne réussirez pas à donner le change.
P. MONATTE.
Au centième jour
les grévistes du Havre sont unanimes à poursuivre la lutte
Article paru à la Une de l’Humanité du 28 septembre 1922.
Le Havre, 27 septembre. – (par téléphone de notre envoyé spécial) – Le drap de la mort vient d’être tiré sur une grande figure havraise, M. Siegfried, doyen de la Chambre des députés, ancien ministre.
Les journaux locaux célèbrent ses vertus : ils vantent sa vieillesse lucide et rappellent que la mort de la compagne de sa vie, il y a quelques mois, l’avait frappé mortellement.
Nous rappellerons une humiliation qui lui fut infligée il n’y a pas longtemps.
L’insulte du patronat de la métallurgie
Il est difficile d’oublier le mot douloureux qui tomba de sa bouche il y a quelque semaines. C’était au sortir de la chambre syndicale patronale où il avait été, en compagnie de ses collègues le sénateur Brindeau et le député Ancel, tenter une suprême démarche de conciliation:
« Jamais un tel affront, déclara-t-il, n’avait été fait à mes cheveux blancs. »
On n’a jamais su exactement comment cette délégation avait été éconduite, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle l’avait été vertement.
M. Siegfried est mort, on sentait, cela ne fait aucun doute, qu’il était d’un autre âge. Le drap mortuaire qui le recouvre ensevelit l’un des derniers survivants de la génération qui essaya de fonder une République et qui y a tristement échoué. Cette génération eut la velléité d’une République libérale et puritaine, mais elle a tout bonnement réussi à déshonorer l’esprit critique du protestantisme, à prostituer la liberté à tous les traîneurs de sabre et à faire de la république la servante malpropre de la ploutocratie. Le protestant alsacien Siegfried a eu honte de tant d’infamie et on peut dire à son honneur que ses derniers jours ont été hantés par le remord de laisser un Lallemand verser le sang ouvrier dans les rues du Havre.
Le « franc jeu » de la grève du Havre
Ce n’est pas M. Siegfried qui aurait osé dire cette plaisanterie que le « franc jeu » a été observé dans la grève du Havre alors qu’il a été ostensiblement violé et que les pouvoirs publics, préfet, armée, magistrature ont appuyé de toutes leurs forces l’intérêt patronal.
Hier, j’entendis une voix anonyme de la foule dire:
« On ne les a pas aidés » !
Pour cet anonyme, le gouvernement avait le devoir de se porter au secours d’une grève aussi légitime que celle-ci et il y a manqué.
Quand je lui eus fait remarquer que le gouvernement avait aidé au contraire les patrons, il acquiesça troublé et à moitié révolté.
La grève aura dans la population havraise des répercussions morales inattendues. Elle a secoué toute cette fraction de nos contemporains qui dort debout et va son chemin sans savoir même si Poincaré est président du Conseil.
Une consultation par usine
La grève vient de connaître un de ces tourbillons fréquents dans toute lutte qui se prolonge. Un moment vient où tous ceux qui sont irrésolus, irrésolus de nature et qui balancent toujours, finissent par pencher du mauvais côté, où des groupes se forment dans les coins où le découragement sévit et entraîne un flot de rentrées et parfois une dislocation du mouvement.
C’est le fait qui s’est produit aux Tréfileries.
Un vent de panique a été soulevé par le sifflet des sirènes. Comme toujours la rumeur a grossi la réalité et enflé les chiffres. Naturellement la secousse était forte pour les ouvriers des autres usines.
Le Comité de grève a, ce matin, par la voix de Chevalier et de Gauthier, dit au meeting qu’une consultation s’imposait usine par usine, une consultation où le délégué de l’usine au Comité de grève n’ouvrirait que les oreilles et fermerait la bouche afin de permettre à tous de dire leur pensée entière, sans gêne et sans pression. Ce qu’on appelle les « meneurs » allaient demander aux « menés » de dire nettement où ils voulaient aller, s’ils étaient trop las et pensaient à la rentrée ou bien s’ils avaient encore des sacrifices à dépenser.
Immédiatement le grand bloc des grévistes s’est fusionné et chaque usine s’est réunie dans son coin, a discuté, puis mandaté son délégué.
Dans l’après-midi le comité de grèves a enregistré les décisions de chaque usine et à 5 heures, dans un deuxième meeting au bois Mongeon, il a fait connaître les résultats de la consultation. Il pleuvait dur; pourtant tout le monde était là et quand Gauthier, abritant de la pluie son papier, a lu les résultats de la consultation, il y a eu tout d’abord une appréhension, puis une joie douce a détendu les visages un moment crispés:
Chantiers de la Gironde, unanimes à poursuivre la lutte; Chantiers de la Méditerranée, unanimes; Mazeline, unanimes; Chantiers Normands, à l’unanimité moins dix voix; Compagnie Electro-Mécanique, unanimes; Gaillard, unanimes; Compagnie Transatlantique, unanimes… etc. etc.
Pendant que je remontais avec Gauthier, les camarades des Chantiers Normands sont venus lui dire qu’il y avait eu unanimité sur la poursuite du mouvement et que les 10 voix n’avaient pas la signification de partisans de la rentrée. C’étaient des camarades qui avaient demandé un vote secret simplement.
Au 101° jour, malgré les défections qui se sont produites chez Schneider et aux Tréfileries, il y avait presque autant de monde au bois Mongeon, et il y avait même volonté. Certes, cette volonté avait été émoussée un moment; elle vient d’être retrempée et bien retrempée. Naturellement, tout cela ne tient pas du miracle: il y a une explication, il y en a plusieurs, plusieurs causes ont joué à la fois. Il y en a une qui m’a frappé tout particulièrement: c’est la fureur qui s’est emparée des « carnivores » à l’idée de la rentrée. Les « carnivores », c’est ainsi que ce sont dénommés eux-mêmes les chaudronniers de tous genres, professionnels de mérite qui sont à la base et tiennent le travail des constructions navales, dévorant au boulot comme à la lutte.
Mais quels drames représentent certaines rentrées à l’usine ! On m’en a retracé un ce matin:
Une vieille maman qui a conduit ses trois gars à la porte de l’usine; les jeunes gens ne voulaient rien entendre, ils se débattaient. La pauvre vieille en pleurant menait son petit troupeau. A la porte de l’usine, ses gars refusent une nouvelle fois, puis ils plient enfin sous la douleur et la volonté de leur mère. Pauvres enfants ! Pauvre mère ! qui ne savait pas le mal qu’elle faisait et qui croyait défendre le bien des enfants.
P. MONATTE.
Au Havre: Plus résolus que jamais
Article paru à la Une de l’Humanité du 29 septembre 1922.
Le Havre 28 septembre. – (par téléphone de notre envoyé spécial) – Le coup de fouet de la consultation d’hier a fait du bien. C’est de meilleur pas qu’on s’est dirigé vers le bois Mongeon ce matin et je me suis demandé si le cent deuxième jour de grève l’assistance n’était pas plus nombreuse que les autres jours.
Ce qui montre encore mieux avec quelle vigueur la lutte se poursuit c’est l’état d’esprit avec lequel on juge ceux qui rentrent; on les blâme, certes, mais on les plaint. On dit qu’ils sont tombés sur les genoux et qu’il importe non pas de finir de les coucher aux pieds des patrons mais de les aider à se relever pour qu’ils ne se laissent pas tomber au pire découragement qui suit le mépris de soi-même après une vilaine action. Pour qu’il reprennent un peu de confiance en eux, le Comité de grève a décidé de les appeler à un grand meeting qui aura lieu dans l’après-midi de dimanche, au bois Mongeon et où ceux qui auront tenu 105 jours ne craindront pas de coudoyer ceux qui les ont quittés au bout de 95 ou 100 jours. Ces derniers ne peuvent pas être regardés comme des renégats ou des jaunes. il doit être possible de compter encore sur eux pour l’action syndicale et pour la résistance contre le patronat.
De 250 adhérents à combien ?
Le syndicat des métallurgistes du Havre qui comptait 250 adhérents au début du mouvement, en comptera bientôt, quoi qu’il arrive, vingt fois plus au moins.
Un de ces jours derniers, les camarades d’une forte usine disaient au Comité de grève:
» Vous devez nous compter comme syndiqués. Nous n’avons pas de carte et nous ne pouvons payer de cotisation en ce moment; mais tout le personnel chez nous entend être regardé d’ores et déjà comme syndiqué. »
Cette déclaration inattendue a suggéré l’idée de faire un appel en faveur du syndicat. Les adhésions ont été reçues usine par usine. Comme le syndicat est à base de sections techniques, les spécialités vont tenir des réunions particulières. Aujourd’hui la première s’est tenue, celle des « carnivores », c’est bon signe.
Le Comité des Forges qui avait choisi Le Havre au lendemain de ses échecs à Marseille et à Lille pour remporter une victoire facile, parce qu’il n’y avait plus qu’un syndicat extrêmement réduit, peut se vanter d’avoir montré l’utilité de l’organisation.
Les ouvriers ont vu qu’ils pouvaient fort bien s’entendre entre les diverses spécialités et les différentes usines. Quesnel leur en a fait la démonstration pendant deux mois, et quand il a été arrêté, les camarades qui lui ont succédé l’ont répété pour la seconde fois.
C’est par l’épreuve et par la lutte que la classe ouvrière acquiert la conviction de sa capacité à conduire son organisation en attendant celle de conduire la production.
Ils osent arrêter encore
Un mois après les incidents du Cercle Franklin, le Parquet ose décerner un mandat d’amener contre Rioult, conseiller municipal socialiste du havre, pour soi-disant participation à la soi-disant émeute du 26 août.
Les vendredis de la correctionnelle havraise
Diverses affaires relatives à la grève vont passer devant le comptoir du déjà fameux M. David.
Jeanne Lebreton, une camarade âgée de 19 ans, Fiquet, un jeune de vingt ans, et Dumont Henri, comparaissent aujourd’hui pour violences aux agents.
Une autre affaire qui doit revenir, celle-là présente un gros intérêt: c’est celle de Dorange, remise à 15 jours, afin que l’accusation puisse faire la preuve que les sommations furent réellement faites le 26 août.
On se demande bien comment cette preuve pourra bien être faite alors que ni le tambour, ni la trompette ne se sont fait entendre autour du Cercle Franklin.
Pierre MONATTE.
Sans sommations le 26 août on fit tirer sur les grévistes
Article paru à la Une de l’Humanité du 30 septembre 1922.
Le Havre 29 septembre. – (par téléphone de notre envoyé spécial) – Nul n’est censé ignorer la loi, paraît-il. Personne pourtant ne s’entend mieux à la violer que les pouvoirs publics. Les violations de la loi les plus scandaleuses ont été collectionnées au cours de la grève du Havre par le préfet de la Seine-Inférieure. A ses yeux, le délire du Comité des Forges tient lieu de légalité.
Mais il n’est pas de violation de la légalité plus caractérisée et de violation aux conséquences plus graves que celle qui fut commise par les commissaires de police qui commandaient les forces de l’ordre le samedi 26 août.
Il a été reconnu publiquement aujourd’hui devant le tribunal correctionnel du Havre que les sommations réglementaires n’avaient pas été faites.
Le commissaire spécial adjoint de Rouen, M. Jérôme, a avoué qu’il n’avait à sa disposition ni tabours ni clairons. Un de ses collègues, M. Givals, a jouté: « Nous n’avions pas le moyen de nous procurer ni tabours ni clairons. »
Sur ces déclarations formelles, le ministère public ne pouvait moins faire que de ne pas insister, ce qu’il a fait en retirant son inculpation contre notre camarade Dorange.
Suzanne Lévy avait bien été inspirée en réclamant, il y a quinze jours, que l’accusation apportât la preuve que les sommations avaient bien été faites. L’accusation ne pouvait apporter ce qui n’existait pas.
On a dû reconnaître que le commissaire de police en personne avait violé la loi du 26 août, violation aux conséquences particulièrement graves puisqu’il ordonna de tirer sur la foule des grévistes sans avoir fait les sommations légales.
Que fera-t-on des camarades condamnés déjà, simples prévenus encore qu’on a poursuivi pour attroupement séditieux en raison du témoignage de ces commissaires ?
Quelles sanctions prendra-t-on contre ces commissaires coupables d’avoir violé la loi et d’avoir fait assassiner quatre travailleurs ?
Nous nous demandons quelles sanctions prendront les gens qui ont fait coffrer Quesnel, Bousquet, Féré, Le Pen et qui laissent en liberté le préfet Lallemand.
Je veux parler du chef de la police havraise, le commissaire Artigues. On annonce qu’il va être promu chevalier de la Légion d’honneur en récompense des incidents du Premier Mai et de l’issue du 26 août qu’il a si bien machinée. Une goutte du sang qu’il a versé va lui rougir la boutonnière.
Le Cercle Franklin sera-t-il bientôt rendu ?
Jeudi, au Conseil général, Pazin, conseiller communiste du Petit-Quevilly, a demandé que le Cercle Franklin soit rendu aux syndicats du Havre et aux grévistes de la métallurgie.
« Cela ne regarde pas l’assemblée départementale, a répondu le rapporteur, mais la ville du Havre ».
« Allons donc, a répliqué Pazin. D’après les dires du maire du Havre, lui-même, le cercle Franklin a été retiré aux travailleurs sur les ordres formels du gouvernement. » L’assemblée départementale, qui a écouté l’autre jour les balivernes de son président sur la grève du Havre, n’a pas retenu le vœu de Pazin.
Ça bouillonne aux Tréfileries
Quel est l’état d’esprit des ouvriers qui ont repris le travail ces jours derniers aux Tréfileries ? Disons d’abord que dix-sept fondeurs sont sortis de nouveau. On leur demandait de faire douze heures. Pourquoi douze ? Afin de fournir de l’ouvrage aux autres catégories. C’est avouer que beaucoup de professionnels ont refusé de rentrer et que sans eux rien ne pouvait marcher, même aux Tréfileries.
Ajoutons que les ouvriers qui sont rentrés ont été salement étrillés en fait de réduction. Aussi le mécontentement bouillonne aux Tréfileries.
Les ouvriers qui sont rentrés sont mécontents des conditions qui leur sont faites et guère plus contents d’eux-mêmes et de leur faiblesse.
Dimanche ils seront nombreux à revenir au bois Mongeon.
P. MONATTE.
Au Havre: 104e jour de grève !
Article paru à la Une de l’Humanité du 1er octobre 1922.
Le Havre 30 septembre. – (par téléphone de notre correspondant particulier) – La nouvelle consultation des grévistes, usine par usine, prévue pour aujourd’hui, a été faite au bois Mongeon. La consigne était de procéder à une consultation aussi sévère que possible afin de ne pas s’embarquer à la légère et de risquer de n’être pas suivi.
Les groupes se sont formés à travers le bois, les uns énormes, les autres minuscules suivant l’importance des boîtes. Alors qu’en certains milieux on escomptait ce qu’un journal havrais appelle une détente, c’est à la quasi-unanimité que ces réunions usine par usine ont décidé la poursuite du mouvement. Les votes favorables de la reprise du travail n’ont pas été dans la proportion de un sixième comme il a été écrit, mais dans celle de un pour cent tout au plus.
Avec l’esprit de discipline qui caractérise les grévistes, on peut espérer que ceux-là mêmes qui se sont prononcés pour la reprise s’inclineront devant la formidable majorité qui s’est affirmée et ne voudront pas rentrer. Seule la détente est en effet compromise. C’est plus que jamais la lutte à outrance.
Les journaux régionaux se livrent à de savants calculs sur le nombre des rentrées, sur celui des ouvriers nécessaires pour faire face aux commandes en retard qui s’accumulent dans les usines.
On sait que le dernier moyen imaginé par le patronat pour semer la panique a été de répandre le bruit que l’industrie havraise allait subir une compression, que beaucoup d’ouvriers deviendraient inutiles de ce fait et qu’ils seraient congédiés.
Les patrons se figuraient que pour ne pas être au nombre des congédiés, les ouvriers assailliraient leurs portes. Le coup a peut-être réussi aux Tréfileries, partout ailleurs il a raté; on peut compter les rentrées aux Chantiers de constructions navales, il n’y en a pas.
Des surprises attendent les patrons: ils voient déjà que des commandes leur filent sous le nez et des clients prendre une autre direction. Demain quand les ateliers rouvriront, ils pourraient bien en outre trouver leur travail désorganisé et courir après les professionnels indispensables.
L’appel à ceux qui sont rentrés
Le meeting de demain auquel sont conviés à la fois les grévistes et ceux qui sont rentrés ces jours derniers a été annoncé par un tract où il est dit:
Camarades qui avez abandonné la lutte, nul ne vous en veut. Personne de ceux qui sont encore dans la bataille ne peut ni vous maudire ni vous jeter la pierre. Ensemble, nous avons lutté ensemble, nous avons souffert, nous avons communié dans la même douleur. Le sang, à tout jamais, a scellé l’unité ouvrière en face de l’unité patronale, et ni la rancœur ni la haine ne doivent exister entre les travailleurs.
Nous voulons vaincre, nous voulons que les affameurs du Comité des Forges retirent leurs diminutions de salaires. Nous voulons vivre dignement et librement en travaillant. C’est pourquoi, à vous, qui avez été un peu trop tôt découragés, afin de démontrer au patronat que, malgré une division apparente, nous sommes à tout jamais unis et que rien ne saurait rompre cette union, nous vous demandons seulement d’assister encore une fois au grand meeting qui aura lieu dimanche, à 15 heures, au bous Montgeon.
La caisse noire de Schneider
La Chambre patronale des métallurgistes du Havre est adhérente au Comité des Forges, et, comme telle, elle est assurée contre les grèves. Mais l’indemnité prévue est infime par rapporta aux charges occasionnées par une grève de 104 jours. Aussi, Schneider avait parait-il accordé un appui financier supplémentaires aux usines mises en difficulté par la grève. A la longue cependant il se serait fatigué. On raconte en outre qu’il n’aurait pas trouvé assez de docilité chez ses collègues. Depuis le 25 septembre, tout appui financier de sa part serait retiré. Sa caisse noire aurait fermé ses guichets.
La discorde devait se produire un jour ou l’autre dans le camp patronal. On entend déjà des éclats de voix rue du Chillou au siège du syndicat patronal.
Les responsables du 26 août
L’aveu fait hier, devant le tribunal, que les sommations n’avaient pas été faites, est un premier rayon de lumière qui ne tardera pas à être suivi par d’autres. Peu à peu le rôle de provocateur du préfet apparaîtra plus nettement. Les fusillades du Havre pouvaient être rapprochées, non pas de celles de Fourmies, mais de celles de Villeneuve-St-Georges. Mêmes provocations policières suivant un plan gouvernemental, M. Lallemand n’a pas oublié qu’il avait été à l’école de Clemenceau.
Une délégation du groupe parlementaire communiste doit venir aux premiers jours de la semaine prochaine faire une enquête sur la grève et sur les incidents du 26 août qui lui permettra d’interpeller en toute connaissance de cause. Les faits scandaleux ne manquent pas. Pour une légende qui se dérobe dès qu’on la touche, beaucoup de faits indiscutables sortent peu à peu de l’ombre, d’autant plus terribles qu’on les touche avec plus de précision.
Pierre MONATTE.
Le magnifique entrain des grévistes du Havre
Article paru à la Une de l’Humanité du 2 octobre 1922.
Le Havre, 1er octobre. – (par téléphone de notre envoyé spécial) – J’ai vu pas mal de choses dans ma vie. Jamais encore je n’avais vu un comité de grève s’adresser amicalement à des ouvriers qui avaient abandonné la lutte, risquant ainsi de briser la grève, d’où le nom [qui] leur est couramment donné de « briseurs de grève » et de « jaunes ».
La grève du havre a présenté bien des situations curieuses. Celle-là n’est pas la moins originale.
Mais l’invitation à venir soit à la « Grenouillère » à Harfleur, soit au meeting du bois Mongeon, serait-elle entendue ? Les ouvriers rentrés ne se boucheraient-ils pas les oreilles ? Essaieraient-ils de revenir dans un meeting, même si le désir leur en venait, et s’ils venaient, que diraient-ils donc ?
Ils sont venus nombreux. La réunion d’Harfleur avait lieu ce matin. On sait qu’Harfleur est le fief de Schneider.
Richetta au nom de la C.G.T.U. et Massot au nom de la Fédération des Métaux étaient là. Rarement la salle de la « Grenouillère » n’avait eu autant de monde. Certes, les esclaves de Schneider ont lâché pied; ils ont perdu courage un moment, mais ils n’ont pas perdu confiance en l’organisation. Ils sauront le montrer.
Pleuvrait-il cet après-midi au bois Mongeon, comme cela arriva le jour où vint le Théâtre Confédéral ? Le temps a grimacé, mais la pluie a attendu le moment de la dispersion pour tomber.
Beaucoup de femmes et d’enfants. Les femmes ne boudent pas trop la grève; c’est le symptôme le plus encourageant. Mais y avait-il là des ouvriers rentrés aux Tréfileries ? Je me posais la question avec quelque inquiétude, quand Gauthier a annoncé qu’à la demande d’un groupe d’ouvriers, une réunion des ouvriers rentrés aux Tréfileries aurait lieu à l’issue du meeting. Il en était donc venu ? Une heure après, à leur réunion, ils se trouvaient plus de 200. C’est un beau résultat, d’autant plus que pas mal d’autres ont certainement été empêchés de venir par la honte d’avoir commis une faiblesse.
Tour à tour, Massot, Lafforgue et Richetat ont pris la parole.
Richetat a dit avec quelle anxiété on avait suivi à la C.G.T.U. les journées de flottement qu’avait traversées le mouvement au cours de la semaine dernière et avec quelle émotion la nouvelle du sursaut de volonté avait été accueillie.
Des camarades sont tombés de découragement. Ils appartiennent à toutes les catégories, aux manœuvres spécialisés, aux professionnels, mais la proportion des manoeuvres est beaucoup plus forte et c’est très explicable. Les professionnels savent qu’ils ne sont pas facilement remplaçables et cela les rend forts.
Développant la même idée, Lafforgue avait déclaré un moment auparavant que ce serait les « carnivores » qui auraient la peau du Comité des Forges.
Que peut et que dois faire la C.G.T.U. ? Redoubler d’efforts pour que les patrons du Havre ne puissent pas faire exécuter ailleurs leurs commandes; battre le rappel de la solidarité pour que les familles des 10.000 braves qui restent sur la brèche ne manquent pas du strict nécessaire.
La C.G.T.U., a déclaré Richetat, ne manquera pas à ce double devoir.
Gauthier avait gardé pour la fin une lettre de Quesnel datée du 25 septembre, mais arrivée le 30 au soir seulement et adressée aux camarades du Comité de grève et à tous les grévistes. Voici cette lettre:
A tous mes camarades du Comité de grève, à tous les grévistes.
Aujourd’hui lundi 25 septembre, 30° jour de prévention, je viens par la présente vous porter tous mes encouragements pour la vaillance et la tenacité dont vous faites preuve et qui devront avoir pour couronnement l’obtention du maintien de vos salaires.
Quant à moi, camarades, je ne suis pas plus à plaindre que vous. Comme vous, je suis séparé de ceux qui me sont chers et cela par la volonté féroce des exploiteurs. Mais vous aussi, pères et mères de famille, ne vous ont-ils pas mis dans l’obligation de vous séparer de vos chers petits enfants ? Cela n’empêchera pas que dans une dizaine d’années, l’ont viendra vous enlever ces mêmes enfants, on vous prendra vos fils les meilleurs, les plus forts, les plus sains pour en faire des soldats. Ils seront peut-être encore appelés à défendre les coffre-forts de ceux qui, aujourd’hui, veulent les condamner à végéter avec des salaires de famine.
Pendant ce temps, les profiteurs capitalistes ne font que se lamenter sur l’inclémence du temps qui les prive de tous les plaisirs des stations balnéaires et les empêche de jouir des orgies des maisons de jeu, des maisons de passe, que l’on y installe à leur intention.
Enfin, camarades, je termine en vous disant bonjour à tous et en criant avec vous: « Vive la grève ! »
Le secrétaire de la métallurgie: H. QUESNEL, détenu de droit commun, Maison d’arrêt du Havre, cellule 30.
P.-S. – Mes camarades co-détenus Le Pen et Perrault vous envoient également leur sympathie, comme moi, d’une cellule où ils bénéficient de leur part d’anciens combattants.
La lecture de la lettre de Quesnel a été écoutée dans un silence religieux et la fin saluée par des cris de: Vive Quesnel ! Vive la grève !
Pour tout le monde ici, Quesnel personnifie le syndicat de la métallurgie et la confiance absolue qu’on accorde enfin à l’organisation.
On ne pouvait se séparer sans chanter l’Internationale. Un ténor gréviste chante quelques couplets et toute l’assistance entonne le refrain; la voix lui manque, un autre camarade reprend les derniers couplets.
J’ai regardé l’expression de tous ces visages devant moi. A quelques mètres, un nègre chantait avec ferveur au refrain; plus loin à gauche un Marocain, au visage de bronze et au collier de barbe noire mettait dans sa chanson autant de passion que lui.
Un jour l’Internationale sera le genre humain… Que dis-je, elle l’est déjà.
Pierre MONATTE.
Au Havre la lutte continue
Aux tréfileries la moitié des ouvriers ont à nouveau quitté le travail
Article paru à la Une de l’Humanité du 3 octobre 1922.
Le Havre, 2 octobre. – (par téléphone de notre envoyé spécial) – Ceux qui étaient rentrés aux Tréfileries au début de la semaine dernière viennent de racheter hardiment leur faute. Hier, ils étaient venus 200 environ au meeting du bois Mongeon. Ce matin, ils sont ressortis à 450, soit la moitié du total des rentrées aux Tréfileries. Encore peut-on espérer que demain matin, bon nombre d’autres qui habitent au loin ne reviendront pas. 450 ont eu le courage de sortir une deuxième fois. La confiance du Comité de grève n’a pas, on le voit, été trompée. Les événements démontrent qu’il avait davantage raison qu’il ne le croyait lui-même, en continuant à regarder toujours comme des camarades ceux qui étaient rentrés au début de la semaine dans une crise de découragement. Il leur a tenu un langage d’ami en se donnant la peine de comprendre les raisons de la faute qu’ils venaient de commettre. Il leur a permis de la racheter. Il ne leur avait pas demandé un pareil geste, il n’en attendait pas tant d’eux. Ils lui ont donné plus qu’il n’espérait. Non seulement par leur rentrée ils ont permis à tous de se rendre compte que les patrons étaient résolus à serrer la vis, ils étaient victorieux, ce que les militants avaient prédis 1.000 fois, mais par leur sortie en grand nombre ils sèment le désarroi dans le camp patronal. Ils font rebondir le mouvement: ils lui donnent une vigueur nouvelle.
A la rentrée de 7 heures, un service entier, le clinquant, restait dehors ce matin; à 9 heures c’était le bottelage qui sortait; à midi, le cuivre lâchait en grande partie.
A l’intérieur de l’usine, les consultations allaient leur train. les portes avaient été fermées et personne ne pouvait s’en aller individuellement. Au dehors les gendarmes se faisaient voir et admirer; ils balayaient et rebalayaient les trottoirs.
Un camarade qui se faisait régler à midi a eu le mot de la journée: – « Voici un bâton pour payer ceux qui sont assez lâches pour rester ».
M. Stahl le directeur des Tréfileries, doit s’arracher les cheveux; il croyait avoir enfoncé le front ouvrier et pensait que par la brèche, toutes les usines passeraient. Déjà il s’en enorgueillissait; il était trop pressé. Il n’était pas seul d’ailleurs à espérer la reprise générale. Dans beaucoup de milieux on attendait la reprise. Chez Mazeline, on avait déclaré aux employés: « Finie la couture, on recommence le travail lundi ». Jusqu’à la mairie du Havre où M. Meyer refusait samedi d’accorder un bon de transport à des grévistes qui avaient trouvé du travail au loin, en prétextant que la grève était terminée et que le travail reprendrait aujourd’hui.
Au lieu de la rentrée générale tête basse, c’est la sortie tête haute de ceux qui avaient eu la faiblesse de rentrée.
C’est un 106° jour de grève qui comptera dans l’histoire ouvrière. Les ouvriers de partout vont dire:
– Ils ont du ressort les grévistes du Havre.
Les patrons aussi le diront. Ils se seront rendus compte aujourd’hui qu’il est difficile de faire toucher les épaules à des ouvriers sûrs de leur bon droit et conscients de leur force.
Ce matin, le Havre-Eclair se permettait d’écrire qu’au meeting d’hier après-midi, quelques assistants avaient manifesté leur intention de reprendre le travail aujourd’hui. Où diable, avait-il pris ce renseignement ? Chez les patrons sans nul doute.
Hier, le contraire s’était produit. C’était un groupe d’ouvriers rentrés aux Tréfileries qui avaient demandé une réunion spéciale à l’issue du grand meeting. Ils se trouvaient deux cent à cette réunion improvisée et sur le nombre une dizaine seulement n’étaient pas d’avis de ressortir. Aujourd’hui, les deux cent, on le voit, ont fait boule de neige.
L’enquête du groupe communiste
Marcel Cachin est arrivé à onze heures ce matin. De suite, il est monté au bois Mongeon où le Comité de grève était encore réuni.
La plupart des camarades du Comité attendent le lundi après-midi au siège de distribution des vivres. Une sous-commission a été désignée pour fournir à Cachin tous les renseignements utiles; elle a fonctionné jusqu’à 5 heures et le Comité de grève s’est réuni à nouveau.
La tactique du patronat consiste à faire mourir d’asphyxie cette grève formidable, à convaincre l’opinion publique qu’elle n’existe plus. L’opinion publique saura que la grève du Havre est si vivante qu’elle trouve le moyen d’électriser les plus fatigués. Elle entendra du haut de la tribune le récit des hauts faits du Comité des Forges et de ses domestiques préfectoraux ou militaires.
Pierre MONATTE.
Le 107e jour de grève au Havre
Au service du patronat
Article paru à la Une de l’Humanité du 4 octobre 1922.
Le Havre, 3 octobre. – (Par téléphone de notre envoyé spécial). – « Il ne faut pas parler au Havre du cap de lundi, me disait un camarade ces jours derniers. Remarque qu’il a toujours été franchi facilement et que le jour difficile a été chaque fois le mardi. » Mais après le geste remarquable accompli hier par les ouvriers des Tréfileries, la journée d’aujourd’hui était envisagée sans appréhension.
Tout contribuait d’ailleurs ce matin à chasser les idées noires. Le geste des Tréfileries est la lumière d’une belle journée d’automne.
Devant les tréfileries
La remarquable sortie d’hier avait amené les agents du patronat et la police a redoublé d’activité. Il fallait empêcher à tout prix les sorties, boucher la fissure. Défense à tous les militants connus de passer devant les Tréfileries ce matin. L’un des délégués de l’usine au Comité de grève, le camarade Gauthier, était allé se rendre compte sur place de la situation. Pour rien au monde, il n’aurait voulu rater un spectacle fameux dans le genre de celui d’hier. Mais un commissaire de police s’est collé à ses trousses et l’a contraint finalement à déguerpir.
Pour vous faire une idée des procédés de police en usage au Havre, regardez cet échantillon:
A un moment donné, Gauthier était entré dans un café; un commissaire est allé le relancer et a menacé de faire fermer de suite le café si Gauthier ne sortait pas.
C’est ainsi que la liberté individuelle est respectée au Havre. Les gens de la loi sont les premiers à la violer. Ils devraient observer la neutralité entre l’ouvrier et le patron; ils pourchassent et terrorisent l’ouvrier au bénéfice du patron.
La mise à la disposition du capitalisme de tous les rats de la police et de la justice apparaît chaque jour. Aujourd’hui, c’est un commissaire de police faisant la besogne des Tréfileries. Hier c’était un de ses collègues sortant de chez le chef du personnel de la maison Schneider à Harfleur, la mine réjouie et chauffée à point par un bon dîner.
C’est dans ces agapes patronales qu’ils vont apprendre l’interprétation qu’il convient de donner à certains textes de loi. Ils y apprennent, entre autres choses, que le délit d’entraves à la liberté du travail peut être compris de bien des manières, même par simples paroles; plus que ça, par simple regard. Les juges du Havre servent consciencieusement les maîtres du régime et le vieux tabellion ensanglanté qui préside le Conseil des ministre peut être satisfait de ses chats-fourrés.
Courteline est enfoncé. Jamais ses juges n’auraient osé appliquer certaines formules juridiques aux grévistes du Havre; jamais ils n’auraient osé poursuivre quelques-uns d’entre eux pour… manœuvres frauduleuses dans le but de forcer la hausse des salaires. pas de doute, vous avez bien lu, et j’ai sous les yeux cette citation, parmi tant d’autres, en toutes lettres.
Le juge qui a découvert que les grévistes du Havre recouraient à des manœuvres frauduleuses pour faire hausser leurs salaires mérite une bonne récompense, n’est-ce pas ? Il a soigneusement travaillé à ridiculiser la justice bourgeoise.
Charron et Louise Heuchel relachés
Hier soir à 8 heures, Charron, un bon camarade du port, a été relâché. Un mandat d’amener avait été lancé contre lui à propos des incidents du 26 août. Sans doute, son nom avait-il été inscrit sur la liste fantaisiste établie par les policiers havrais et parisiens. Or justement, le samedi 26, Charron était en délégation à Rouen et un rapport du commissaire de là-bas y signalait sa présence. L’inculpation contre Charron était donc ridicule. Depuis une quinzaine, c’est un fait acquis; pourtant on ne lui rendait pas sa liberté. S’il fallait libérer tous ceux qui sont injustement arrêtés, qui est-ce qui resterait à la prison du Havre ?
Ce soir, c’est Louise Heuchel qui a eu la joyeuse surprise de voir s’ouvrir les portes de la prison. L’inculpation qui pesait sur elle, de menace de mort contre la personne du général Duchêne et de provocation au meurtre de gendarmes, n’avait pour appui que deux rapports anonymes et contradictoires. Le juge Kerambrun lui-même n’avait pu obtenir que soit levé l’anonymat des auteurs des deux rapports. Les mensonges qu’ils contenaient se sont écroulés au premier examen.
Après la libération de Lartigue et de Le Guillermic, celle de Charron et de Louise Heuchel s’est fait attendre. Espérons que celle de tous nos autres camarades tardera moins. Voilà des semaines que Menneret, Peltier et autres devraient être dehors. Ces hommes sont maintenus en prison malgré la mise en liberté provisoire demandée pour eux par le juge d’instruction qui a instruit leur affaire. Serait-ce qu’on ne veut pas en haut lieu laisser la prison du Havre sans locataires ? Il y a un bon moyen en ce cas, c’est de relâcher les innocents qui y sont présentement et d’y coffrer les véritables coupables du crime gouvernemental du 26 août qui a coûté la vie à quatre hommes et ceux du crime patronal qui a coûté 107 jours de sacrifice à 15.000 ouvriers et à leur famille.
Pierre MONATTE.
Cent-huitième jour de grève
Article paru dans l’Humanité du 5 octobre 1922.
Le Havre, 4 octobre. – (Par téléphone de notre envoyé spécial). – Deux faits extrêmement importants et qui vont exercer une grosse influence sur la marche du conflit se sont produits au cours de cette 108° journée.
Ce soir, Quesnel, Hervieu, Craquelin et Peltier ont entendu le gardien chef de la prison leur dire: « Messieurs vous êtes libres ».
Ce matin, les grévistes, sur la proposition du Comité de grève, avaient décidé d’adresser une nouvelle lettre aux patrons.
Peltier est libéré enfin. Déjà sa mise en liberté avait été annoncé deux ou trois fois. Mais d’autres camarades sortaient et l’on aurait dit que Peltier était oublié. Tout finit par arriver. Le voilà dehors en même temps que Quesnel, secrétaire de la métallurgie et de l’union locale, l’âme de la grève jusqu’au 26 août; en même temps que Hervieu, secrétaire du port, et Craquelin, secrétaire des Inscrits unitaires. Avant-hier Charron, hier Louise Heuchel et Rioult, le conseiller municipal socialiste arrêté ces jours derniers. Aujourd’hui, les militants havrais les plus connus et Peltier. Et demain ? Espérons que demain le scandale qui consiste à garder en prison des hommes, dont le juge d’instruction chargé de leur affaire a signé la mise en liberté provisoire, prendra fin, et que Menneret, Le Pen, Rachel Degond, Limare, Bunel et Mme Bunel, Le Gall et Féré nous seront rendus.
Une lettre aux 24 patrons
Outré de la conspiration du silence faite autour de la grève par la presse locale, le comité de grève a décidé de dénoncer cette conspiration à la population havraise. En même temps, il a résolu de faire une nouvelle démarche auprès des patrons. Une lettre a été envoyée non pas à la chambre patronale de la rue du Chillou, mais directement aux vingt-quatre patrons dont les usines sont en grève.
Ainsi, du même coup, la grève, dont les journaux d’ici ne parlent que pour l’enterrer chaque jour, quittes à être obligés de l’assassiner de nouveau le lendemain, n’est pas un mort récalcitrant, mais un être acharné à vivre. Ceux qui ne voient plus les réunions de la salle Franklin et les défilés des grévistes dans les rues du Havre peuvent oublier ou ignorer que les grévistes font, par milliers, l’ascension du bois Mongeon chaque matin. Mais un vote viendra rafraîchir leur mémoire.
La Journée Industrielle fit voir dans l’appel aux ouvriers rentrés une preuve de faiblesse. Ne veut-elle pas plutôt donner le change au lendemain du beau geste des Tréfileries. Si c’est une faiblesse que de ne pas permettre au patronat d’approfondir et d’exploiter les divisions ouvrières, le Comité de grève en a évidemment commis une. Mais qu’on nous permette d’être d’un autre avis et de penser que le comité de grève a fait preuve en cette circonstance d’une force singulière. Jamais pareil appel n’avait été lancé, jamais on n’avait vu un comité de grève disposer d’une pareille influence morale. Jamais on n’avait vu des ouvriers rentrés à l’usine avoir un pareil sursaut de volonté et de conscience. Puisse le Comité de grève du Havre donner beaucoup de pareilles preuves de faiblesse.
Voici le texte de la lettre envoyée aujourd’hui aux patrons:
Monsieur,
Nous nous permettons de vous rappeler notre lettre du 26 août, en réponse à celle de votre chambre syndicale, à la date du 25 août.
Dans cette lettre il était porté à notre connaissance que vous étiez disposé à recevoir des délégations d’ouvriers de vos usines. Dans notre lettre du 26 août, nous vous proposions une méthode qui nous paraissait plus efficace.
Reprenant aujourd’hui les termes de votre lettre du 25, nous avons l’honneur de vous faire connaître que nous avons constitué par usine une délégation de quatre membres, strictement composée d’ouvriers travaillant dans votre usine à la déclaration de la grève.
Nous avons voulu donner ainsi le maximum de garanties d’impartialité de la part des délégués, Cette délégation se tient à votre disposition pour rentrer en conversation avec vous, aux jour et heure qui seront à votre convenance et à l’endroit que vous voudrez bien désigner.
Nous espérons que vous donnerez une suite favorable à notre nouvelle proposition, et qu’après un examen attentif d’une situation si préjudiciable à la population tout entière, vous trouverez, d’accord avec les délégués ouvriers, un moyen équitable susceptible de mettre un terme a un conflit qui pèse si lourdement sur l’industrie de la région havraise.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous présentons, monsieur, l’assurance de nos sentiments distingués.
Le Comité de grève.
Attendons maintenant la réponse des patrons. Il leur sera bien difficile de ne pas répondre et non moins difficile de répéter ce qu’ils ont déclaré depuis cent jours, que les ouvriers devaient se serrer la ceinture tandis que les patrons se repaissent de la vie chère en croquant leurs honnêtes bénéfices de guerre.
Au Palais de justice
Aujourd’hui un interrogatoire, celui de notre vieux Bousquet, assisté par Me Lazurich. Bousquet ferme la série des interrogatoires. L’instruction va, paraît-il, être close. Deux comparutions devant le tribunal :
Celle de Coroller, un jeune de 17 ans, inculpé d’outrage à la force armée, attrape trois semaines de prison, malgré son âge, la défense de Lafont et la demande émouvante de sa vieille Bretonne de maman dont il est d’unique soutien.
Celle de Diot, inculpé d’entrave à la liberté du travail.
Il y a un mois, nous avons publié une lettre confidentielle des syndicats patronaux havrais demandant à leurs adhérents de recueillir tous les renseignements possibles sur les faits d’atteintes à, la liberté du travail. La plainte contre Diot a été déposée par M. Quatravaux, directeur de la Société Le Nickel. Il ne fait pas de doute que Diot appartient à la série des victimes de la rue du Chillou et que les juges du Havre ne font qu’obéir aux désirs du patronat havrais. (…) Non seulement, M. Quatravaux a déposé lui-même la plainte aux lieu et place de son pauvre esclave Lesteilin, un manœuvre de 59 ans, qui courbait le front à l’audience sous la honte de la sale besogne qu’il commettait, mais il a conduit dans son auto Lesterlin auprès du commissaire de police, et il a déposé en même temps, pour le même fait, une seconde plainte contre un autre gréviste, plainte qui ne peut être retenue, mais quia permis d’apprendre que c’était le surveillant de l’usine qui avait donné à Lesterlin le nom de cet agresseur imaginaire.
Bien qu’il n’y ait pas eu de coups échangés, pas la moindre voie de fait, mais simplement une musette jetée à terre, Diot a été condamné à six semaines de prison.
Au Havre, l’application de la loi sur la liberté du travail est poussée si loin qu’elle aboutit la suppression du droit de picketing et du droit de grève.
Les patrons havrais ont rigidement des domestiques obéissants et zélés en la personne des juges d’ici.
Pierre MONATTE.
Le 109° jour de grève
Article paru dans l’Humanité du 6 octobre 1922.
Le Havre, 5 octobre. – (Par téléphone de notre envoyé spécial).Le Havre, 5 octobre. Quesnel, on le pense bien, était ce matin au Comité de grève et au meeting du bois Mongeon.
Après quelques mots d’Argence disant quelle joie chacun éprouvait à le revoir, il a pris la parole; il l’a reprise derrière Raynaud et après Gauthier il est remonté sur les planches et a prononcé le dernier mot de la réunion. Son apparition a été saluée d’applaudissements et de cris vite coupés par un énergique :
« Je croyais vous avoir appris à ne pas applaudir ».
Il a dit tout ce qu’on attendait de lui, son contentement de retrouver le mouvement aussi solide au bout de 109 jours, la nécessité pour chacun de remonter le moral, autour de lui, le devoir de penser à ceux qui ont été assassinés et à ceux qui restent. en prison. Il l’a dit avec une vigueur à la fois bon enfant et rude.
Dans la soirée, nous avons conversé ensemble pendant deux grandes heures de toutes choses, et de tant de choses que je ne me risquerais pas à vous les raconter toutes. Voici quelques réponses à mes questions les plus importantes:
– Que penses-tu du mouvement ?
– Il est solide et touche au moment décisif. Les copains ont bien fait d’envoyer aux patrons la lettre d’hier. On va voir ce que ceux-ci oseront répondre. Le « fémaux » de chez Normand et le « tribout » de chez Schneider les mènent ordinairement à la baguette,, mais cette fois ils n’ont pas l’air d’encaisser aussi bien que ça.
Déjà hier, heures, les patrons étaient réunis. Ils se sont réunis une seconde fois ce matin. Il y a eu une longue discussion, donc du tirage, donc toute une fraction qui veut terminer le conflit en accordant ce que nous demandons. Si fort que soit le Comité des Forges, il ne peut tout de même pas contraindre toutes les boîtes à se ruiner pour la satisfaction de son amour propre et pour ses beaux yeux.
– Le syndicat des métallurgistes va sortir grossi et bien trempé de cette magnifique grève ?
– Cela ne fait pas de doute. Songes donc que nous étions en tout 250 syndiqués au début de la grève et que le 2 juin, à une réunion contre la diminution des salaires, il n’y avait pas plus de 200 auditeurs. C’est tout cela l’indifférence apparente des ouvriers, le faible nombre des syndiqués qui a soufflé du culot aux patrons.
– Il aura tenu longtemps leur culot !
– C’est que nous avons à faire à des sociétés qui ont des usines ailleurs où elles peuvent faire le travail le plus pressé. Souvent nous avons des grèves longues. Une des meilleures a duré déjà 120 jours.
– Crois-tu qu’on va rendre bientôt le cercle Franklin ?
– Justement, de la prison, j’ai écrit, vers le 20 septembre, au maire pour lui rappeler qu’il nous a signé un contrat de location en règle, que les syndicats sont chez eux à Franklin et qu’ils payent leur loyer. En vertu de quelle loi nous dénie-t-on notre qualité de locataires et nous flanque-t-on à la porte ?
« Ce n’est pas tout les troupes qui occupent Franklin fourragent dans nos bureaux et dans nos bibliothèques. En 1893, quand Charles Dupuy a fermé. la Bourse du Travail de Paris, il n’a pas laissé faire tant de saloperies à l’intérieur, et pourtant, quelle émotion et quel bruit dans le pays ! On avait fermé la Bourse du Travail, on a, fermé la nôtre et aujourd’hui tout le monde paraît trouver cela tout naturel, tout le monde y compris le maire du Havre. J’ai reçu une lettre de lui, je te montrerai ça. D’ailleurs le conseil municipal se réunit ce soir précisément les conseillers municipaux sont saisis d’une lettre où je leur pose la question de Franklin. »
Attention au racolage
L’excellente preuve que les patrons n’ont pas autant d’ouvriers à leur disposition qu’ils en voudraient, c’est qu’ils envoient dans toutes les directions des racoleurs pour leur trouver des ouvriers professionnels. Pour leur faciliter la besogne, le Comité de grève adresse à tous les secrétaires d’organisations syndicales et à tous les travailleurs de la métallurgie une mise en
garde dont voici le passage principal :
« Les requins de la métallurgie du Havre ne voyant dans les usines que quelques manoeuvres inconscients dont la valeur de production est nulle vont tenter une nouvelle manœuvre. Déjà un certain Moyon, contremaître racoleur au chantier de la Gironde doit aller à Saint-Nazaire pour recruter des ouvriers qualifiés pour exécuter les travaux que les grévistes du Havre s’acharnent à ne pas vouloir toucher.
En tous cas, le Comité de grève porte à la connaissance des inconscients qui pourraient se laisser tromper par des promesses plus ou moins mensongères, que nos camarades du Havre sauraient les recevoir dignement et avec tout le confort moderne.
Ouvriers de tous, les pays, tenez-vous en garde, et ne vous dirigez pas sur le Havre, car toutes les usines sont à l’index,
Le Comité de grève.
P.-S Le Comité de grève ne verrait pas avec déplaisir des figurants bénévoles se payer un petit voyage au Havre aux frais de nos usines. Ils pourraient toujours augmenter le nombre des entrées et le montant des frais généraux.
Les dix mille francs du Conseil Général
Le conseil général de la Seine-Inférieure dont le président, M. Bignon, a insulté les grévistes dans son discours d’ouverture, vient de voter dix mille francs pour les familles des grévistes.
Bazin ayant demandé que le comité de grève soit chargé de leur répartition a vu sa demande combattue par le préfet, ce qui est tout naturel, et ce qui l’est peut-être moins, par M. Tilloy, un conseiller socialiste.
Bazin peut se consoler de son échec. S’il avait obtenu gain de cause, un cas de conscience se serait posé devant le comité de grève. Quelle que soit la misère des grévistes aurait-il été possible d’accepter un centime de la part du préfet de la Seine-Inférieure, le provocateur des incidents du 26 août ? La question est écartée, et c’est tant mieux. Néanmoins le comité de grève a tenu à élever une protestation.
Ce vote a rappelé en outre un certain nombre de décisions prises par plusieurs municipalités, notamment celles de Lyon et de Périgueux. Elles ont voté des sommes assez importantes en faveur des grévistes, mais ceux-ci se demandent ce qu’il est advenu de ces décisions. Les camarades de ces localités devraient bien renseigner le comité de grève.
Une lettre de Le Pen
Voyez par cette lettre de Le Pen lui-même à Lacarrère, ce qu’ils ont trouvé:
« On me refuse ma liberté parce que, en temps qu’électricien, le secrétaire de la Fédération du bâtiment m’a dit que je n’avais rien à faire au cercle Franklin, lieu des réunions du comité de grève de la métallurgie comme si on ignorait que le cercle F’ranklin est commun à une quinzaine d’organisations, y compris le syndicat du bâtiment. D’autre part, on sait pertinemment que je venais de faire une réunion aux travailleurs du bâtiment en grève par solidarité et qui m’avaient appelé auprès d’eux.
« Comme tu le vois, ceci est clair et peu compliqué. Mais il n’est de tels sourds que ceux qui ne veulent rien entendre. Ce qui n’empêche pas de dire que, Don Basile a fait école par ici.
« Je proteste parce que la machination est par trop grossière et si je la dénonce, ce n’est pas parce que je pense que cela changera quelque chose à ma situation, mais simplement pour faire voir que je ne suis pas dupe de la manœuvre tentée contre nous. »
Ainsi, on ne relâche pas Le Pen parce qu’il n’avait rien à faire au Cercle Franklin auprès des métallurgistes en adoptant le raisonnement même du Parquet de Rouen. Puisqu’il est établi qu’il était au syndicat du bâtiment, on doit le relâcher en vitesse. Mais je me demande dans quel coin du code, le Parquet a déniché que c’était un délit punissable de l’emprisonnement que d’aller à Franklin pour un électricien comme Le Pen ? Chaque jour décidément la justice havraise nous réserve une cabriole plus admirable que la précédente.
Pierre MONATTE.
110° jour de grève
Article paru dans l’Humanité du 7 octobre 1922.
Le Havre, 6 octobre. (Par téléphone, de notre envoyé spécial.) Les délégations qui se sont rendues au cours de l’après-midi dans chaque usine étaient de retour au bois Mongeon, vers 5 heures. Là, elles se sont réunies avec le Comité, de grève et lui ont rendu compte de chaque entrevue.
Partout les délégués des grévistes se sont heurtés à la volonté de ne pas discuter sur les 10 p. 100.
» Nous nous, en tenons à la réponse que nous vous avons faite le 22 juin », a-t-on dit en plusieurs endroits.
Dans quelques-usines, notamment aux Tréfileries et chez Schneider, à Harfleur, on a dit aux délégués:
« Que n’êtes-vous venus un mois plus tôt nous aurions pu faire des concessions, mais la grève a trop duré. »
C’est une manœuvre naïve dirigée contre le Comité de grève, une manœuvre cousue de gros fil blanc. Peut-être aussi a-t-on voulu se payer le luxe de faire de l’ironie à un pareil moment. On laisse entendre que si les délégués s’étaient présentés il y a un mois, ils auraient obtenu des concessions.
Chez les coiffeurs, c’est demain qu’on rase gratis, chez les patrons métallurgistes, c’était hier. Le résultat est le même. Mais dans l’un et l’autre cas, on se trouve en présence de blagueurs.
Les patrons sont mal venus à prétendre cela, alors que dans la lettre du 25 septembre, signée de M. Fenaux, leur vice-président, il était nettement déclaré que toute discussion relative aux 10 p. 100 était inutile. Au mois de septembre comme au mois de juin et comme au mois d’octobre, les patrons, ont déclaré, qu’ils refusaient de revenir sur les diminutions de salaires.
En cherchant par quels moyens ils pourraient bien miner l’influence légitime du Comité de grève, ils ont trouvé cette manœuvre. Elle est certainement très jésuitique, mais elle est vouée à l’insuccès.
La réponse faite dans l’après-midi avait été dictée par le Syndicat patronal, elle était le fruit, des laborieuses discussions qui avaient absorbé les deux réunions patronales.
Ce matin, la presse locale avait publié le communiqué suivant, répondant à la lettre adressée à chaque patron par le Comité de grève :
Le comité de grève des métallurgistes vient de proposer à chaque patron de recevoir individuellement une délégation de son ancien personnel.
La chambre syndicale patronale fait connaître qu’aucune maison ne s’est jamais refusée à recevoir les membres de son personnel qui désirait l’entretenir.
Elle signale, en outre, que près de 6.000 ouvriers, soit largement plus de la moitié des ouvriers dont elle prévoit l’emploi, ont repris le travail aux nouvelles conditions de salaires.
C’est le syndicat patronal qui a répondu au nom de l’ensemble des patrons. C’est lui qui leur a dicté la réponse qu’ils devaient faire individuellement aux délégations qui se présenteraient. Cette réponse est catégorique et brutale.
Le Comité de grève se réunira demain matin avant la réunion des grévistes pour envisager la réplique nécessaire qu’il convient de faire.
La solidarité ne doit pas se ralentir
L’Union départementale des syndicats unitaires de la Seine-Inférieure, dont le secrétaire, notre ami Gauthier, a été l’un des meilleurs guides du mouvement, est mieux placée que quiconque pour constater les besoins criants qui se manifestent au cours d’une grève aussi longue. Certes, au début du pain suffisait. Aujourd’hui, il faut pouvoir s’occuper de bien d’autres choses..
Ces jours-ci, un cas s’est posé:
Dans un ménage de grévistes, la femme était en couches. On peut le penser dans 100 jours, les économies ont filé. Pourtant, en pareille occasion, il faut faire certaines dépenses indispensables. Que faire ? Le Comité a décidé d’allouer une somme de 100 francs et de faire appel aux camarades disposant d’une layette. Ce n’est là qu’un exemple, mais on peut penser que su r 10.000 ménages les cas les plus imprévus se présentent et qu’il faut y faire face. C’est ce qui a amené l’Union de la Seine-Inférieure à lancer l’appel suivant à la classe ouvrière:
Au 110° jour de grève de nos camarades métallurgistes du Havre, l’Union départementale des syndicats unitaires de la Seine-Inférieure lance un vibrant appel à la classe ouvrière tout entière pour qu’elle augmente son geste de solidarité et vienne en aide d’une façon plus efficace à tous nos malheureux frères qui supportent si stoïquement des misères sans nom.
Quand on a vu des ouvriers, jeunes ou vieux, hommes et femmes, au visage stigmatisé par les privations, mais dont les yeux reflètent une énergie indomptable, on a le coeur serré et on voudrait pouvoir faire partager à tous les frères de France les sentiments d’admiration et de pitié dont on est imprégné.
Au secours, camarades ! L’hiver approche avec tout son cortège de misères et de besoins supplémentaires. Des milliers d’hommes vont être sans vêtements, sans chaussures. Le soir, des milliers de familles vont se trouver sans lumière, devant un foyer éteint.
Au secours ! Pour que nos camarades ne soient pas étranglés par les bandits du Comité des Forges qui, après s’être servis d’eux et de nous pour édifier des fortunes scandaleuses, ne reculent devant aucun crime pour arriver à leurs fins.
Notre appel sera entendu. Au nom de nos frères du Havre si privés, mais si courageux, merci!
Au Palais et à la prison
Hier, avaient passé à l’instruction, les camarades Louis et Robert Dumont, Letailleur, Le Rumeur, Duflos et Bagnol. Ils sont inculpés de rébellion. Aujourd’hui, Durand pour le même motif et Sénécal, Jacq et Besse pour entraves à la liberté du travail. La justice havraise ne chôme toujours pas, on le voit. Elle instruit et coffre toujours, sans se presser de rendre la liberté aux camarades dont elle a pu constater déjà l’absolue innocence. Elle en détient toute une catégorie dont le juge d’instruction lui-même a signé la mise en liberté provisoire. Cela ne veut pas dire
que ceux dont M. Kerambrun n’a pas signé la libération soient moins innocents et moins dignes d’intérêt, mais cela veut dire que pour ces dix ou douze, même aux yeux des gens de loi, c’est un scandale de les garder.
Le scandale est encore plus grand quand il s’agit d’un camarade comme Menneret qui était venu de Metz au Havre, pour assuter les départs des colis rassemblés par le Comité d’assistance aux Russes. Les juges avaient pensé trouver en lui un « oeil de Moscou ». Ils croyaient tenir un homme terrible, chargé de crimes. Ils tiennent en prison un innocent qui est revenu de la guerre du droit avec 6 blessures graves: une au poumon, une au bras gauche et une à la cuisse, et Menneret qui devrait avoir acquis tous les droits est à la prison du Havre depuis 40 jours tandis qu’un certain nombre de gens qui ont sur les mains et la conscience la mort de quatre travailleurs havrais, paradent en liberté.
Pierre MONATTE.
Demain, rentrée au Havre en rangs serrés, la tête haute
Article paru dans l’Humanité du 8 octobre 1922.
Le Havre, 7 octobre. (Par téléphone de notre envoyé spécial). J’imagine l’étonnement et la tristesse qu’on éprouvera, partout à la nouvelle de la décision prise ce matin par le Comité de grève du Havre.
Encore une défaite ouvrière, dira-t-on. Certes, c’est une défaite matérielle cela ne servirait à rien de le taire ou de nous le cacher à nous-mêmes. Mais le patronat n’en tirera ni gloire ni bénéfice. Son orgueil est sauf mais sa victoire lui aura coûté cher, plus cher que s’il n’avait pas engagé la lutte.
Il y avait plus de monde que les autres jours encore au bois Mongeon. La réunion du Comité de grève s’est prolongée. Il fallait d’ailleurs attendre le retour des délégations qui devaient n’être reçues que ce matin chez Normand, chez Béliard et à la Transatlantique.
La réponse de ces dernières maisons a été pareille à celles qui avaient été rapportées dans la soirée d’hier. Partout, on se refuse à revenir sur la diminution de 10 p. 100. Les patrons sont intraitables.
Que pouvait décider le Comité de grève ? La poursuite de la lutte ? C’était le désir des militants et d’une bonne partie des grévistes. Mais au prix de quels sacrifices et en laissant en route quelques milliers de découragés ou d’épuisés.
La cessation de la lutte ! Quatre mois sans salaire ruinent un budget ouvrier. Tandis que les ouvriers luttent en se serrant la ceinture, les patrons ne sont même pas atteints dans leur superflu. Déjà il y avait trop de souffrances étouffées, de mĩsères cachées la force humaine a des limites. Le Comité de grève n’a pas cru possible d’aller plus loin. Certes, il a examiné toutes les hypothèses.
Des catégories, même des maisons entières, lui ont dit «Nous ne rentrons pas ». Il a pris sa décision on la connaît. Quesnel a été désigné pour en expliquer les raisons à l’assemblée et pour lire la déclaration élaborée par le Comité de grève. C’est la gorge serrée, le visage rouge et de temps à autre une larme au coin des yeux, qu’il a parlé.
La guerre en rase, campagne est finie, a-t-il dit la guerre de tranchées commence, et nos tranchées sont dans les ateliers.
Thristen, au nom de la C.G.T.U. a remercié les grévistes pour leur admirable effort et leur a dit qu’ils n’avaient pas lutté en vain.
Malheureusement, ce n’est pas, vous qui recueillerez le meilleur fruit de vos efforts et de vos souffrances. C’est nous qui vous devrons de ne pas voir nos salaires diminués.
Juste remarque que la nouvelle du recul des compagnies houillères devait confirmer.
Un gréviste inconnu, en quelques mots heureux, a rappelé que la route de l’émancipation est longue et bordée de tombeaux et de défaites.
Tous les orateurs sans exception ont montré que le syndicat devait être la maison de tous. Au début de la grève, il comptait 250 membres, aujourd’hui il en compte près de 3.000. Il doit embrasser tous les ouvriers qui ont fait preuve de conscience et de ténacité. C’est par le syndicat que peut se ressouder le bloc des ouvriers qui ont tenu pendant 90 jours et de ceux qui ont tenu jusqu’au bout. Entre eux, il ne doit pas y avoir de haine. Toute la haine des uns et des autres doit être dirigée contre le patronat.
Cet après-midi, le Comité de grève s’est réuni à nouveau pour envisager la nouvelle organisation de la distribution des secours aux camarades qui seront frappés, à ceux qui ne pourront être réembauchés tout de suite, et les moyens d’atteindre la première paie.
De la Sûreté aux Tréfileries
Le Chef de la Sûreté havraise vient d’obtenir sa mise à la retraite. Il part planter ses choux, pensez-vous ? Erreur, il entre aux Tréfileries pour assurer la direction d’un important service. On devine de quels service il peut s’agir.
Il y a quelques jours, nous constations le zèle, avec lequel un commissaire de police opérait devant les Tréfileries et comment il pourchassait les militants. Il alIait`jusqu’à menacer de faire fermer un caf’é où l’un de nos camarades était entré.
Etait-ce M. Bataillé, assurant à la fois ses deux services, celui du gouvernement et celui des Tréfileries ? Ou bien l’un de ses collègues à qui il avait passé la consigne ?
Une petite cérémonie qui a réuni toutes les mouches havraises a été faite en l’honneur de M. Bataillé. Des discours y ont été prononcés. Nous serions ingrats si nous ne signalions pas celui de M. Tonnetot, le sous-chef de la sûreté du Havre, qui a eu l’honneur récemment d’établir, en collaboration avec quelques inspecteurs de la Sûreté parisienne, la liste des militants qu’il convenait d’arrêter.
Que la police de l’Etat soit aux ordres des patrons, personne n’en doute; qu’elle passe d’un râtelier à l’autre ou qu’elle mange aux deux, c’est chose naturelle, mais qu’elle fournisse elle-même la preuve de sa pourriture, c’est une occasion que nous ne pouvons laisser passer.
Pierre MONATTE
La déclaration du Comité de grève
Voici la déclaration lue par Quesnel au meeting et qui va être affichée sur les murs du Havre :
A tous les grévistes du Havre,
Au 110e jour de notre belle lutte, votre Comité de grève vient vous dire de rentrer aux ateliers lundi prochain 9 octobre, de vous présenter tous ensemble, en rangs serrés et la tête haute.
Nous n’avons pas voulu vous demander davantage de sacrifices. Nous n’avons pas voulu saigner plus longtemps la solidarité ouvrière nationale. Dans nos rangs beaucoup voudraient continuer la lutte. Nous demandons à ces vaillants camarades de ne pas couper en deux l’armée de la grève. Les professionnels indispensables doivent rentrer aux côtés de leurs camarades.
Nous sommes peut-être vaincus momentanément, mais nous ne sommes pas battus.
Pendant 110 jours, nous avons multiplié les sacrifices. Nous avons fait une grève qui a soulévé la sympathie et l’admiration de toute la classe ouvrière et forcé le respect de nos adversaires eux-mêmes.
Nos sacrifices n’ont pas été inutiles Nous subissons aujourd’hui une diminution mais d’autres diminutions auraient suivi inévitablement. Nous n’avons pas réussi à faire reculer le Comité des Forges, mais nous l’avons fixé sur place. Nous avons mis un cran d’arrêt. Ce cran d’arrêt est mis pour nous et pour toute la classe ouvrière car le patronat ne se risquera pas soulever sur un autre point du pays une autre grève pareille à celle du Havre.Nous assurons de toute notre affection les camarades qui souffrent dans les prisons et nous nous engageons à les en faire sortir. Nous n’oublions pas nos quatre morts du 26 août non. plus que les responsables de leur assassinat.
Nous remercions du fond du cœur les ouvriers, les organisations et tous ceux qui nous ont apporté leur solidarité.
Nous rentrons dans les usines, la tête haute, avec l’orgueil de nous être; bien battus, avec la volonté de continuer, dans le syndicat des métaux du Havre – autour duquel nous devons tous nous resserrer- la cohésion et la confiance qui ont uni entre eux, pendant la grève les 15.000 métallurgistes de la place, avec l’espoir aussi de prendre un jour prochain notre revanche.
Le Comité de Grève.
APRÈS LA GRÈVE HÉROÏQUE
Les travailleurs du Havre rentrent ce matin sans abdiquer
Article paru dans l’Humanité du 9 octobre 1922.
Le Havre, 8 octobre. (Par téléphone de notre envoyé spécial). Les grévistes ont tenu ce matin une dernière réunion avant la rentrée. Je ne sais pas si la rentrée demain matin sera impressionnante, mais, je puis dire que cette réunion finale au bois Mongeon fut émouvante.
Dans la défaite, on s’éparpille ordinairement. Chacun va de son côté,en maudissant le voisin; surtout on fuit les militants. Ici, tout le monde s’empressait autour d’eux pour leur serrer les mains. Pas le moindre reproche contre le syndicat qui [sic] contre le comité de grève. Les militants qui ont quitté le mouvement, ceux du comité de grève commé, ceux qui ont travaillé dans les bureaux de distribution des vivres, souvent les mêmes d’ailleurs, peuvent être satisfaits. Ils ont fait leur devoir et sont payés, non par la suspicion ou les outrages, mais par la confiance générale.
Sans doute, il y aura des coupes sombres, il y aura des victimes. Comme le disait hier à Harfleur, au dernier carré des grévistes de Schneider, notre ami Gauthier:
Toute bataille laisse des morts. La victoire de Poincaré n’en a-t-elle pas laissé 1 million ?
C’est évidemment la menace suspendue sur les têtes. Vendredi la chambre patronale déclarait qu’elle ne prévoyait pas le remploi de tous-les grévistes. C’est la méthode Schneider; on veut renouveler le personnel. C’est plus facile à dire qu’à exécuter. Déjà 2.000 professionnels ont mis la voile pour d’autres lieux et beaucoup ne voudront pas revenir.
Il en est d’autres qui regardent comme une humiliation de rentrer et il a fallu toute la pression du comité de grève pour les convaincre que leur devoir consistait à reprendre leur place à l’usine. J’en connais un qui a déclaré que ce serait le plus dur affront qu’il puisse recevoir, si, demain, la Transatlantique acceptait sa rentrée.
Les patrons auront trop de peine à retenir les professionnels pour pouvoir réaliser leur menace. Ils peuvent parler de déplacement de l’industrie métallurgique havraise. Tant qu’ils n’auront pas transporté la mer et les Chantiers de Constructions Navales à Paris on peut sourire de leur projet. Il faut qu’ils racontent quelque chose; il faut bien qu’ils essaient de démoraliser les travailleurs. C’est pourquoi ils font dire par leur presse, et notamment par Le Havre-Eclair, que la grève a pris fin officiellement, mais qu’elle était virtuellement terminée depuis 15 jours.
En prenant les chiffres mêmes des statistiques patronales, il y avait vendredi 6.000 rentrées sur 15.000 ouvriers. Une grève qui embrassé 9.000 grévistes et qui garde dans ses rangs les ouvriers professionnels d’élite, « les carnivores » n’est pas une grève virtuellement terminée. On sait aujourd’hui mieux encore ce que valent les statistiques patronales. C’est hier qu’un directeur, prétendant qu’il y avait 292 rentrées dans son usine,, était obligé de rectifier et de reconnaître comme exact le chiffre 92.
C’est une armée compacte qui suspend la grève et s’apprête rentrer en rangs serrés et la tête haute. Elle rentre avec la volonté de continuer la lutte et la certitude d’avoir d’ici peu reconquis les 10 p. 100 qu’on lui vole momentanément.
Menneret, Rioux et Mme Rioux sont en liberté
Hier, au soir, Menneret, Rioux et Mme Rioux ont été mis en liberté. La porte de la prison s’entrouve tous les deux ou trois jours.
Espérons qu’elle s’ouvrira toute grande l’un de ces jours. Ceux qui restent emprisonnés ne sont pas plus coupables que ceux qui ont été relâchés. Les véritables coupables, chacun le sait, logent au château de Schneider, à la préfecture de Rouen et au commandement de corps d’armée.
Pierre MONATTE.
Les grévistes du Havre ont fait une rentrée impressionnante
REPRÉSAILLES PATRONALES
Article paru dans l’Humanité du 10 octobre 1922.
Le Havre, 9 octobre. (Par téléphone de notre envoyé spécial). Le Comité de grève avait dit que la rentrée aurait lieu en rangs serrés et la tête haute. C’est bien ainsi qu’elle s’est produite. Dans chaque usine, elle a donné lieu à une manifestation impressionnante.
Aux chantiers Augustin Normand, l’Internationale a retenti. C’est le type de l’usine cléricale et l’on connaît la part que son directeur M. Fenaux a prise dans la grève en qualité de vice-président du syndicat patronal. Les morceaux de buis bénis qui ornent les minuscules chapelles accrochées dans les ateliers, ont dû sentir entrer une bouffée d’air nouveau.
Chez Mazéline, les tourneurs ont refusé de rentrer pour protester contre la révocation de Cantais, qui a été poursuivi pour faits de grève. De vieux ouvriers sont ressortis par solidarité pour ce jeune camade.
A la Compagnie Transatlantique, ceux qui étaient repris ne voulaient pas reprendre le travail devant le nombre de camarades frappés. Il a fallu que les militants leur disent de rentrer.
Les coupes sombres
Partout l’esprit a été magnifique. Les coupes sombres étaient trop escomptées pour refroidir la confiance des camarades. Il est difficile de donner des chiffres précis; d’heure en heure, ils ont changé par le fait que le réembauchage s’est effectué toute la journée. Il continuera demain et seulement, on saura avec exactitude le nombre des camarades frappés.
Un journal havrais de ce soir qui donne des renseignements de source patronale déclare que le nombre des non réembauchés est d’un millier environ. Les maisons qui ont sabré le plus durement sont Schneider (noblesse oblige), les Tréfileries, la Compagnie Transatlantique, et les Chargeurs.
Mais le même journal signale qu’un certain nombre de maisons sont susceptibles d’embauchage encore Duchêne, Caillard, Béliard, Chantiers de la Gironde, Tréfileries, Westinghouse, Schneider, De Gesincourt, Caillou, Cudelou, Simonneau.
Les professionnels s’exileront-ils ?
Les patrons sont dans un cruel embarras. La main-d’oauvre professionnelle se refuse a accepter les nouvelles conditions et s’en va du Havre ou n’y revient pas.
Les chantiers de la. Gironde n’ont pu reformer que 19 équipes de riveurs sur 53. Chez Béliard, les équipes sont désorganisées par le départ de beaucoup de professionnels.
Ceux qu’on regarde comme les as des métiers ont pris leur compte. Ceux qui étaient partis travailler ailleurs reviendront ou ne reviendront pas. Déjà quelques uns ont écrit à Quesnel de venir à Paris pour faire une réunion pour tous ceux de la région parisienne. D’autres, qui avaient espéré une autre issue du conflit ne veulent pas se plier devant l’arrogance patronale. Quant à ceux qui sont révoqués, certains ont déjà demandé à la réunion de ce matin quelles facilités leur pourraient être données pour aller chercher du travail ailleurs. La place du Havre risque fort d’être traitée en pestiférée par les ouvriers professionnels.
Déjà dans quelques maisons, la question des heures supplémentaires s’est posée. La réponse a été partout la même « Plus d’heures supplémentaires, qu’on reprenne d’abord les révoqués. » Il ne se passera pas longtemps avant que l’offensive reprenne sur les salaires. On a été battu en restant sur la défensive, il se pourrait bien que certaines maisons ne tardent guère à passer à l’offensive et que certaines positions soient vivement reconquises, et peut-être même dépassées.
La méthode Edde
La nécessité d’ailleurs y contraindra les ouvriers. Il leur est difficile de mettre en application la méthode Edde de diminuer le coût de la vie.
Vous ne connaissez pas la méthode Edde ? J’ai oublié, en effet, de vous l’exposer avant-hier. Mais il n’est pas trop tard pour le faire.
Samedi matin, M. Edde, directeur de la Compagnie Générale Transatlantique, en présence de son ingénieur, M. Romano, a déclaré à la délégation de son personnel, que le coût de la vie ne diminuerait que le jour où les ouvriers ne pourraient plus payer. Ce jour-là, les commerçants baisseraient bien leurs prix.
Les conseils de M. Edde ne sont peut-être pas mauvais, mais pour qu’ils soient efficaces, il devrait les compléter par une invitation à ses amis, les juges, d’être moins féroces. Tant que pour manger, il faudra payer chez les commerçants, il faudra aussi que les patrons payent raisonnablement leurs ouvriers.
L’exemple du port
Quand les dockers arrêtèrent leur mouvement de grève de solidarité sur l’ordre du Comité de grève, on cria alors aussi à la manifestation de faiblesse. Il y a un peu plus d’un mois de cela. Qu’est devenu le syndicat des dockers depuis ? Il s’est renforcé de 2.000 adhérents nouveaux.
Hier, en application de son programme de revendications exigeant la suppression du travail du dimanche, le navire postal Mottinsond de la Canadian Pacific, n’a pas été déchargé. C’est la première fois qu’un pareil fait se produit sur le port du Havre.
Les dédisions du Comité de grève ne portent pas malheur aux organisations, et aux travaileurs qui les respectent. Après le syndicat du port, qui s’est sensiblement renforcé, nous allons voir le syndicat de la métallurgie procéder à une véritable résurrection. Avant trois semaines, il n’y aura pas un gréviste de la métallurgie ayant tenu jusqu’au bout qui n’aura sa carte de syndiqué, et ceux qui ont lâché pied, dans les dernières journées sont nombreux à venir frapper à la porte du syndicat.
Les militants qui ont guidé le mouvement peuvent être fiers de leur travail. Ce n’est pas tête basse qu’on est rentré dans les usines ce matin mais la tête haute et en faisant entrer avec soi le syndicat. Désormais, celui-ci est une force morale au sein de chaque usine, en face de chaque patron.
Pierre MONATTE.